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recevoir les cadavres, on les déposa provisoirement sur des tréteaux au fond des cryptes de Palaiseau. Ces cadavres y restèrent dix ans, et pour qu’on les rendît à la ferre, il fallut qu’un visiteur étranger, Leblanc, secrétaire d’état et ministre de la guerre sous Louis XV, fît observer au marquis de Pomponne que les restes de ses ancêtres couraient risque d’être de nouveau dispersés, si l’église de Palaiseau avait, plus tard, pour curé quelque partisan du molinisme. Le marquis alors les fit inhumer, et on écrivit au bas de l’épitaphe, scellée sur la tombe, ces mots pleins d’amertume ; Tandem requiescant ! qu’ils reposent enfin. En voyant plus tard les cendres du grand roi arrachées, par un peuple en délire, aux caveaux de Saint-Denis, les modernes jansénistes ont pu se demander si ce n’était pas Dieu lui-même qui avait appliqué au cadavre royal la peine du talion.

En parlant des Arnauld, comment oublier les femmes de cette famille ? Attachées obstinément à Jansenius sans trop savoir pourquoi, ces nobles pénitentes ne s’interrompent dans la prière que pour pratiquer les devoirs de la plus tendre charité et pour soutenir autour d’elles le courage de ceux dont elles partagent les doctrines et les persécutions. Nous admirons sincèrement ces grandes et austères vertus dont elles donnèrent tant de preuves, mais nous avouons pour notre part, en ce qui touche leur intervention dans les querelles dogmatiques, que cette intervention nous paraît une véritable anomalie. Elles ont été, il est vrai, entraînées sur ce terrain par l’amour même qu’elles portaient à leur famille, comme Héloïse avait été entraînée par Abailard vers la scholastique ; mais la femme théologienne, comme la femme philosophe, nous semble violemment arrachée à sa vocation véritable, et, quand on assiste à distance aux luttes et, pour ainsi dire, aux crises nerveuses des saintes femmes de Port-Royal, on s’afflige de voir que la raison n’est pas là. Deux pages de Mme de Sévigné, parlant de sa fille, nous paraissent infiniment supérieures à toute la correspondance de la mère Angélique. La femme janséniste touche parfois de trop près à la femme savante, pour que les tirades de Molière ne reviennent point l’esprit.

Jugé dans ses détails et au point de vue de l’érudition, le livre de M. Varin sur les Arnauld est une œuvre recommandable. Dans ce temps où l’improvisation a envahi les études historiques elles-mêmes, on y trouve deux qualités qui deviennent de plus en plus rares, cette patience pour les recherches, cette attention pour l’exactitude des faits, qui donnent seules aux travaux d’érudition une valeur réelle. Tous les documens recueillis par M. Varin sont habilement mis en œuvre, le plan est régulier, la forme sévère et châtiée ; mais, en ce qui touche la conclusion générale et ce qu’on pourrait appeler la partie dogmatique du livre