Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assurait aux catholiques une entière liberté de conscience. Cette clause tenta les jansénistes et les engagea, pour l’acquisition de l’île, dans une suite de spéculations où ils eurent tour à tour pour associés ou pour concurrens des banqueroutiers belges, des jésuites renégats, tels que Labadie, et la célèbre illuminée Antoinette Bourignon. Toute cette affaire, ténébreusement conduite embrouillée d’intrigues et compliquée de questions d’argent, n’a rien d’honorable pour ceux qui s’y trouvent mêlés, et l’on y voit, en 1684, les jansénistes entrer en pourparlers avec les ennemis de la France. Pendant long-temps Port-Royal était parvenu à soustraire ou à dissimuler ses vues, mais les confidentiels papiers d’Arnauld les révélèrent plus tard dans tout leur jour. « Ce double projet d’un établissement territorial et politique avait fait, dit M. Varin, sinon la terreur, du moins l’indignation des dix dernières années de Louis XIV, et durant ces dix années Mme de Maintenon, c’est elle-même qui l’atteste, prolongea les soirées solitaires et moroses du monarque, alors au déclin de sa fortune, par la lecture des papiers saisis chez Quesnel Ainsi, après les humiliations de chaque jour, le grand roi se retrouvait chaque soir en face de ces deux humiliations sans égales : la veuve Scarrdn devnue reine, le jansénisme devenu potentat ! »

Quant aux fils et aux deux petits-fils d’Arnauld d’Andilly, leur histoire prouve trop clairement que le zèle théologique et les vertus des sectaires ne s’accordent pas toujours avec les vertus de la famille, et que rien n’est plus dur que cet égoïsme extra-terrestre qui, sous le nom de mysticisme, flétrit toutes les affections humaines et nous fait anticiper sur la mort pour oublier le monde et les vivans. Le beau rôle, dans la descendance de d’Andilly, n’appartient ni aux théologiens ni aux courtisans mais aux soldats, qui gardent mieux que les autres le sentiment de l’honneur. Les théologiens sont, pour la plupart, en querelle avec leurs proches, soit pour une phrase de Jansenius mal comprise et mal commentée, soit pour une dette de quelques écus. Les courtisans, à leur tour, tels que le second marquis de Pomponne, renient, pour plaire au maître, toutes les traditions de leur famille et même les plus simples prescriptions du devoir. En effet, lorsqu’après avoir une première fois, en 1709 dispersé les habitans et confisqué les biens de Port-Royal, Louis XIV conçut la pensée impie d’exiler les morts qui reposaient dans le cimetière de l’abbaye, le marquis de Pomponne présenta au cardinal de Noailles un placet dans lequel il demandait au roi « de transporter, soit à Saint-Méry de Paris, où était la sépulture de ses ancêtres, soit à Pomponne, les corps de ses parens qui avaient été ensevelis à Port-Royal, afin que sa postérité perdit la mémoire qu’ils avaient été enterrés dans un lieu qui avait eu le malheur de déplaire à sa majesté. » Louis XIV autorisa I’inhumation, mais, comme il n’y avait point de caveau pour