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ne trouvera de résistance aucune sy nous sommes en guerre comme nous estions l’année passée. Ceux qui sont esloignez d’eux ne font aucun effort pour soutenir ceux qui leur sont voysins. Ils sont venus de loing. Ils nous ont ostez tous les saints lieux, la coste d’Afrique, la Grèce et la Hongrie, qui sont à présent leurs limites contre nous. S’ils les passent, jugez où ils seront, et ce qui restera de chrétiens pour leur faire barrière. » C’était là parler en chrétien et en profond politique, car c’était prévoir cette insolente invasion des Turcs, dont le flot devait se briser, au pied du Saint-Gothard, devant le courage de ces gentilshommes français, que le prince Eugène, comme le maréchal de Fabert, avait convoqués à la croisade.

D’Andilly, toujours malheureux dans sa propagande janséniste, devait voir, après mille efforts, le valeureux soldat résister obstinément à la grace, comme il avait vu à une autre époque le célèbre réformateur de la Trappe, l’abbé de Rancé, lui glisser entre les mains. Fort heureusement le janséniste avait pour panser ses blessures théologiques deux baumes tout-puissans : l’amitié de Mme de Sablé et l’amour du jardinage. Dévote au déclin de la vie, sans doute parce qu’elle avait été galante au début ; la marquise de Sablé, qui se délectait aux intrigues, comme dit Tallemant des Réaux, était janséniste ardente, et plus friande encore que janséniste, le diable s’étant chez elle retranché dans la cuisine. Quand les affaires du parti périclitaient, d’Andilly allait porter à son amie quelqu’une de ces trois cents variétés de poires qui faisaient l’orgueil de ses jardins. On oubliait alors le Formulaire pour les beaux fruits auxquels les jésuites eux-mêmes rendaient justice, et, grace à ces plaisirs innocens, d’Andilly, en rentrant dans la vie simple et commune, retrouvait çà et là ce calme et cette tranquillité qu’il avait si imprudemment immolés aux cinq propositions.

La seconde figure qui s’offre à nous dans la famille des Arnauld est cet ardent polémiste qui excita et dirigea pendant cinquante ans la guerre du jansénisme, avec des qualités qui lui ont mérité de la part du grand siècle le surnom de grand, et aussi avec plus d’un défaut que fait oublier ce glorieux surnom. Le fait principal que met en lumière le livre de M. Varin, relativement au grand Arnauld, est l’acquisition de Nordstrand, île située près du Holstein, sur les côtes de la Baltique, et dans laquelle Port-Royal eut un instant le projet d’émigrer tout entier. Cette île, qui, dans le XIIIe siècle, comptait trente-trois paroisses, avait été une première fois envahie par les flots en l’an 1300 ; elle avait depuis subi de fréquentes inondations ; les habitans avaient fini par l’abandonner entièrement, et, pour la repeupler, le duc Frédéric octroya, le 18 juillet 1652, une charte remplie de privilèges à quiconque, en s’emparant des terres de Nordstrand, voudrait les garantir, par des endiguemens, des invasions de la mer. L’une des clauses de cette charte