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et donner le triste spectacle d’un grand peuple tombé au niveau des ergoteurs de Sorbonne.

Que renfermait donc l’Augustinus pour produire cet ébranlement Quel principe nouveau, quelle révélation inattendue apportait-il à la société ? Tout se bornait à un problème théologique ; mais ce problème, qui touchait au plus profond mystère de la destinée humaine, avait déjà plusieurs fois troublé la chrétienté, au Ve siècle par l’hérésie de Pélage, dans le siècle même qui venait de finir par l’hérésie de Calvin. L’évêque d’Ypres, comme Calvin, agrandissait pour ainsi dire le domaine de notre néant en développant dans l’Augustinus cette opinion : « que, depuis la chute d’Adam, l’homme a perdu son libre arbitre ; que les bonnes œuvres sont un don purement gratuit de Dieu, et que la prédestination des élus est un effet, non de la prescience qu’il a des œuvres, mais de sa pure volonté. » Par cette doctrine, le dogme de la liberté était anéanti ; l’homme n’avait plus qu’à vivre, en laissant à la fatalité providentielle le soin de le diriger à son gré, en marchant avec docilité vers l’abîme, s’il plaisait à Dieu de l’y pousser. Tout en cherchant à faire prévaloir dans la tradition dogmatique cette croyance décourageante, Jansenius voulait introduire dans la pratique de la vie une austérité tellement inflexible, qu’on pouvait craindre qu’il ne plaçât le bien au-dessus de la portée de l’homme et ne fermât le paradis aux ames défaillantes.

Les théories de l’évêque d’Ypres, importées en France par Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, n’éveillèrent d’abord que faiblement l’attention publique. Urbain VIII les condamna une première fois en 1642, et l’on peut croire que cette condamnation même, comme il arrive toujours en pareille matière, contribua puissamment à les propager. Bientôt elles furent adoptées par ces hommes savans et pieux, ecclésiastiques ou laïques, qui, sous le nom de solitaires, s’étaient retirés au monastère de Port-Royal, pour s’y livrer, loin du monde, à l’étude, à la prière, au travail des mains et à l’éducation des enfans. Le jansénisme se trouva de la sorte placé sous le patronage des Arnauld, des Nicole, des Lancelot, des Pascal, et dès ce moment il fit ombrage, comme toutes les opinions nouvelles auxquelles. se rallient de grands talens. Il eut à lutter tout à la fois contre les jésuites et contre le pouvoir, contre les jésuites, parce qu’après avoir obstinément combattu dans le siècle précédent les doctrines calvinistes, ces religieux retrouvaient dans les doctrines nouvelles un vieil ennemi, une sorte de calvinisme mitigé. Jansenius, d’ailleurs, avait encouru la haine de la compagnie, en faisant révoquer l’autorisation, que lui avait accordée la cour d’Espagne, d’enseigner les humanités et la philosophie à l’université de Louvain ; de plus, on n’avait point oublié le plaidoyer victorieux du père des Arnauld dans l’affaire de l’université de Paris contre l’institut de Loyola. Persécuter Port-Royal, c’était donc se venger de Jansenius sur ses