Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/708

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les feuilles radicales de la Suisse, et en particulier dans les gazettes de Berne, de Soleure et d’Argovie. Le radicalisme suisse est en relations intimes avec les journaux républicains, et libéraux de l’opposition française. C’est surtout par la voix retentissante de Paris qu’il s’efforce d’agir sur l’Europe, d’intimider, d’irriter, de tromper les cabinets, tantôt en représentant le gouvernement français comme privé de toute initiative par ses propres embarras, tantôt en lui prêtant je ne sais quelle sympathie pour tout mouvement révolutionnaire. M. James Fazy pense plus à Paris qu’à Genève ; il a conservé avec le National, m’a-t-on dit, des rapports qui lui sont précieux. Le Constitutionnel reçoit directement de Berne ses principaux articles sur la Suisse. Ces articles, rédigés avec assez de talent, sont attribués à un réfugié neufchâtelois, M. Petit-Pierre, l’un des fidèles de M. Neuhauss, et très compromis dans les événemens de 1831. La presse française est un des leviers du mouvement radical en Suisse, et cela seul suffirait, à mon avis, pour prouver qu’on a aujourd’hui devant soi un des plus sérieux, des plus dangereux efforts que la propagande européenne ait jamais faits.

Un séjour de quelques mois dans un pays ne peut pas fournir les élémens d’une opinion suffisamment réfléchie et complète ; je crois pouvoir dire cependant, sans crainte de m’abuser trop, que ce qui manque surtout à la Suisse, c’est un grand parti conservateur, moins restreint que le parti catholique du Sonderbund, et qui, absorbant à la fois dans ses rangs le patricial, l’ancienne noblesse, la seconde bourgeoisie, et les ecclésiastiques des deux communions chrétiennes, pourrait seul opposer une barrière assez intelligente et forte à la décomposition dont ce pays est menacé. Il en est ainsi en général dans toute l’Europe, la Russie exceptée. En France, nous avons à peu près résolu le problème. A travers des oscillations souvent mal expliquées et mal comprises, les classes moyennes se sont lentement élevées chez nous à la hauteur d’un parti gouvernemental. La bourgeoisie est maîtresse en France. Rien n’est au-dessus d’elle, parce qu’elle a su toujours grandir et se montrer propre à tout et égale à tous par ses lumières, ses richesses, sa modération, ses dévôuemens, son courage, son esprit de suite. Nos chambres législatives, nos conseils-généraux, nos corps municipaux, nos jurys, notre garde nationale, notre administration, notre armée, notre magistrature, notre université et notre clergé lui-même, plus qu’on ne le croit généralement, sont animés d’un même esprit et obéissent aux mêmes volontés, aux mêmes instincts. Notre antique royauté, se transformant, s’est faite, elle aussi, à notre image. Je laisse à de plus habiles à trancher les questions d’avenir ; mais toujours est-il que, pour le présent, nous avons accompli ce qu’il y avait de mieux à faire, et que nous avons ainsi, après une première révolution dont les images