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M. Neuhauss, déconcerté par cette franchise un peu rude, se rassit, et, bon gré malgré, il écouta, ou du moins en eut-il l’air : les convenances étaient sauvées.

Le clergé n’exerce dans le canton d’Uri aucune influence politique ; il n’a que son ascendant religieux. Les formes toutes démocratiques du gouvernement, très chères à la population et avec lesquelles elle s’est complètement identifiée, ont même réagi sur les habitudes du catholicisme. Les curés de cette partie de la Suisse, comme ceux de Schwitz et d’Unterwald, sont nommés par le suffrage des paroisses. Le chef du clergé est un commissaire épiscopal que l’évêque de Coire choisit entre dix candidats présentés par l’autorité civile. Il y a dans ce canton un couvent de capucins et deux de religieuses. Les jésuites n’y sont pas établis ; mais on en appelle de Schwitz ou du Valais pour faire des prédications.

Quiconque connaît cette partie de la Suisse comprend que toute entreprise contre elle est bien difficile, puisque la nature elle-même en a fait une forteresse redoutable. Ce canton n’est que la haute vallée de la Reuss, bornée à droite et à gauche par des montagnes de deux à trois mille mètres d’élévation. Si jamais les radicaux poussent leurs troupes sur ces hauteurs, parmi ces précipices menaçans, il est assez facile de prévoir quels désastres les attendent. Les Bernois, les Zurichois, les Argoviens, sont d’habiles tireurs et des chasseurs hardis ; mais quand un corps d’armée est contraint de traverser, par de telles routes, un pays que défend une population irritée et guerrière, il court tous les risques à la fois, les surprises et les défaites ; il a toutes les souffrances à subir, la fatigue, l’épuisement et la faim. Ce canton n’est abordable que par le lac et le Saint-Gothard, deux barrières difficiles à franchir. Si Lucerne était attaquée, Uri pourrait envoyer à sa défense deux bataillons, et rien n’est plus facile que de faire le trajet en trois heures par le bateau à vapeur.

La jeune Suisse, société radicale, formée par la société centrale de la jeune Europe, a pendant dix ans travaillé avec persévérance à s’assurer la domination du Valais. Ce fut en 1833 que les premiers groupes de cette société s’introduisirent à Sion et à Martigny. Ils végétèrent, long-temps dans de mystérieuses intrigues ; enfin la prise d’armes de 1839 vint les aider. Les hommes de la jeune Suisse, ardens et intrépides, offrirent leur concours au Bas-Valais et contribuèrent à lui assurer l’avantage. La jeune Suisse déploya alors avec violence ses passions sur le pays. Organisée, armée, munie de six canons dans ses chefs-lieux de Martigny et de Monthey, soutenue sur Berne et sur Vaud, elle froissa chaque jour les sentimens intimes des Valaisans. Résistance aux tribunaux, violations de domicile, insultes brutales appuyées et protégées par tout le parti, publications dérisoires contre les magistrats et les prêtres,