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Bientôt la chaussée, longée d’un côté par la mer, dominée de l’autre par des falaises, devient assez étroite pour interrompre la chaîne des constructions ; mais elle est néanmoins assez large encore pour que deux voitures puissent s’y croiser sans trop de peine. Ce passage était jadis difficile et périlleux, difficile à cause de la disposition du terrain, périlleux parce que des bandits s’y embusquaient et détroussaient les passans attardés. La terreur qu’il inspirait alors lui fit donner le nom de petit cap Horn ; mais son titre le plus légitime à ce nom sinistre est sans doute le voisinage d’un point de la grève où les navires sont ordinairement poussés et mis en pièces sur les rochers durant les fortes brises du nord. Ce passage franchi, les constructions reparaissent, et la ville va s’élargissant jusqu’à la place d’Orégo, qui forme l’entrée de l’Almendral ; là, elle prend ses coudées franches et couvre une plaine sablonneuse délaissée par la mer. Les rues de l’Almendral n’ont rien qui les distingue de celles du Puerto : quelques-unes pourtant sont sillonnées par de profondes rigoles remplies d’eau stagnante et redoutables pendant les nuits sombres. Enfin, à l’extrémité de ce quartier, un ruisseau large et rapide fertilise dans son cours des jardins où croissent pêle-mêle et en abondance les fruits et les fleurs des deux hémisphères.

Valparaiso n’était qu’une misérable bourgade à l’époque où l’art espagnol couvrait de chefs-d’œuvre la métropole et ses colonies. Il ne faut donc point chercher des merveilles d’architecture dans cette ville improvisée en quelque sorte par le commerce. Presque tous les édifices religieux datent d’hier ; un goût mesquin s’y révèle, et l’intérieur est très pauvrement orné. L’église paroissiale de Notre-Dame, stuée sur une hauteur du Puerto, est néanmoins d’un style supportable ; le clocher de bois, dont les trois étages, posés sur de légères colonnettes, vont se rétrécissant vers le faîte, ne manque pas d’une certaine élégance. L’entrepôt des douanes est aussi surmonté d’une tour octogone ou mirador qui, de loin, le fait ressembler à une église. Cet édifice, bâti dans de vastes proportions, est bien placé et parfaitement approprié à son usage.

C’est dans l’Almendral, c’est sur le marché d’Orégo qu’on rencontre les campagnards des environs de Valparaiso. Un règlement de police interdit en effet l’entrée du Puerto à leurs lourds véhicules. Les vendeurs, abrités par une natte que soutiennent des piquets, étalent sur un tapis des fruits et différens comestibles. Ce sont des melons, moins sucrés que les nôtres, des sandias, sorte de melons d’eau verts au dehors, sanglans à l’intérieur, et si appréciés des habitans, qu’ils en mangent deux ou trois dans une journée ; enfin les oranges, les raisins, les pommes et surtout les fraises, qui semblent être là dans leur vraie patrie. Parmi les mets nationaux, on remarque le maïs cuit, écrasé et sucré avec du miel, nourriture rafraîchissante et purgative, en grand usage surtout durant l’été ; la charquican, viande séchée au soleil, hachée