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que ceux, par exemple, qui ont provoqué les enseignemens scandaleux de MM. Strauss et Zeller ont mauvaise grace à prétendre aujourd’hui que l’expulsion des jésuites peut être exigée par le motif de l’intérêt général. Après tout, des doctrines religieuses, même un peu exclusives, sont de beaucoup préférables à un rationalisme dont l’audace blessait toutes les croyances et s’attaquait à toute tradition. L’homme ne se passe point si aisément des lumières d’en haut, et ce désolant scepticisme, que de prétendus sages sèment orgueilleusement au sein d’une nation, n’a jamais fait que précipiter les progrès de l’ombre fatale qui doit la couvrir comme un linceul.

Aujourd’hui la défense de Lucerne a été assurée avec le plus grand soin sur tous les points accessibles ; les approches du lac sont fortifiées contre Zurich, le Sonnenberg semble défier les bruyans orateurs de Berne, et le pont de l’Emme fait une merveilleuse contenance devant les menaces d’Argovie.

Zug n’est ni si résolu, ni si fier : ce canton, autant du moins que j’ai pu en juger, m’a paru la partie faible du Sonderbund. J’y ai entendu nommer peu d’hommes véritablement influens. La campagne y est très prononcée pour la cause conservatrice et catholique ; mais la ville ne partage guère cette ferveur. Au reste, cette séparation de sentimens et de principes se laisse voir dans d’autres cantons. Les radicaux, sachant ce qu’il y a de vulnérable du côté de Zug, y envoient quelquefois des affidés et des émissaires ; mais Lucerne est en garde contre ces mouvemens. En avril dernier, une manifestation radicale avait été annoncée : tout se borna à l’arrivée de quelques radicaux d’Argovie et de Zurich. On chanta les refrains que les cabarets de Berne et de Lausanne ont mis à la mode, on fit étalage de brassards, on s’appliqua, pendant tout un jour, à consommer une notable quantité de bière et de liqueurs fortes ; après quoi Zug rentra dans son calme habituel, sans que le général du Sonderbund eût été mis dans l’obligation d’agir contre ces turbulens convives et de les rappeler à plus de modération et de sobriété.

Dans Unterwald, au contraire, tout est unanime, ferme, résolu. Rien qu’à voir ces populations robustes, dont le type a gardé sa pureté primitive et dont les traits respirent je ne sais quelle sérénité imposante, un reconnaît tout de suite ceux que la Suisse entière appelle les pieux Unterwaliens. C’est à peine si ces braves gens ont daigné s’apercevoir que quelque chose changeait autour d’eux et qu’un esprit nouveau se remuait ; le peu qu’ils en ont vu leur a suffi pour les déterminer à la plus énergique résistance. Ce qu’ils firent, il y a cinq cents ans, contre les Autrichiens, ce qu’ils ont fait contre la France en 1798, ils sont tout prêts à le recommencer contre les radicaux. Un respectable vieillard, M. Ackermann, que j’ai eu l’occasion de voir plusieurs fois,