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le vent du nord pousse au rivage. La place de la douane, ouverte du côté de la mer, présente cette activité, cette agitation bruyante qui dénote d’importantes et nombreuses transactions commerciales : ce ne sont que piles de ballots sanglés et plombés, futailles de toute forme et de toute grandeur, vastes caisses étrangement peintes et semées de caractères baroques, œuvre laborieuse d’un pinceau chinois. Les travailleurs, semblables à des fourmis, circulent à travers ces marchandises qui s’amoncèlent, puis s’éparpillent sur des charrettes tirées à bras, sur des civières, et vont se perdre dans les profondeurs de l’entrepôt.

A peine débarqué, on peut déjà se faire une idée des costumes du peuple au Chili. Les hommes portent le poncho national ; c’est une pièce d’étoffe de laine carrée, au centre de laquelle on pratique une ouverture assez large pour laisser passer la tête. Ce vêtement, qui se met comme une dalmatique, est rayé de couleurs éclatantes, ou seulement orné d’une guirlande de fleurs disposée en bordure. Un chapeau de paille, dont le fond se termine en pain de sucre et dont les bords offrent peu de saillie, un grossier pantalon de toile, complètent cet accoutrement. Le costume des femmes, à défaut d’une coupe originale, se distingue par les plus téméraires oppositions de couleurs. Un châle de laine écarlate, bleu de ciel ou rose tendre, surmonte d’ordinaire un jupon d’indienne rayée ou fleurie ; nous disons surmonte, parce que le châle se porte d’une façon toute particulière : on le drape avec grace autour du buste en rejetant par-dessus l’épaule ses longues pointes, qui pendent sur le dos et ne descendent pas jusqu’au jupon. La Chilena sort toujours en cheveux ; une raie blanche comme l’ivoire sépare en deux parties sa magnifique chevelure noire, dont elle laisse flotter les tresses démesurées.

Il suffit souvent d’une promenade à travers une ville pour connaître le caractère et les mœurs des habitans. Avant de suivre le Chileno dans l’intimité de sa vie domestique, commençons donc par l’observer hors de chez lui et comme au passage, en parcourant les rues de Valparaiso. La ville, nous l’avons dit, se divise en deux parties distinctes. Celle qui borde la rade de commerce et s’élève en amphithéâtre sur trois cerros s’appelle el Puerto ; l’autre partie, ou l’extrémité occidentale de la ville, couvre une plaine que l’on nomme l’Almendral (lieu des amandiers). La hauteur inégale des trois cerros du Puerto les a fait baptiser de noms anglais, qui signifient hune de misaine, grand’hune et hune d’artimon. Les étrangers ne les connaissent guère que sous cette désignation hérétique, et ignorent pour la plupart leurs véritables noms chrétiens de San-Francisco, San-Augustin et San-Antonio.

C’est au Puerto que la ville se montre sous un de ses plus étranges et de ses plus sinistres aspects. Entre les trois cerros s’étendent des ravins