Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/658

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas nommer[1]. Browning se fait honneur d’être du peuple et pour le peuple, comme Milton, Shakespeare, Burns et Shelley,

Shakespeare was of us, Milton was for us,
Burns, Shelley, were with us.

Si l’auteur de Paracelsus a pour religion suprême ce panthéisme volage qui s’éprend de tout spectacle, de toute musique, et la divinise pour l’heure même où il en subit l’influence, il ne faudrait pas néanmoins s’imaginer qu’il soit d’un naturalisme outré, comme Wordsworth, ou mystique à la façon de Coleridge et de Shelley ; il est, avant tout, préoccupé de l’homme, de ses passions, du langage et des actes qu’elles produisent. Chez lui, la recherche métaphysique, l’étude des traditions, l’effort littéraire, convergent au même but, qui est le drame, le drame en récit, le drame en action, le drame en monologue, peu importe. Si, avec une prédisposition si marquée, il n’atteint pas à l’excellence dramatique, c’est que l’énergie d’un style nerveux et pittoresque, la connaissance des faits historiques, une certaine aptitude à innover dans l’observation et la peinture des caractères, ne suffisent peint à l’homme qui écrit pour la scène. Il a besoin, surtout à notre époque, d’une science spéciale qui lui permette de faire valoir toutes ses autres facultés, et cette science spéciale, qui règle la distribution d’un ouvrage, ménage habilement l’action, taille les scènes à la mesure qu’elles doivent avoir, équilibre les rôles, prévient ou détruit toute objection, Browning ne l’a pas. Il ne l’a pas même autant que l’avait Shakespeare, à qui la pratique de la scène révéla, du moins en partie, les ressources de cette poétique à part. Il n’a pas non plus cette fougue de génie, cet essor lyrique, cette puissance de souffle, qui, vertus suprêmes du poète, lui tiendront toujours lieu des aptitudes et des connaissances secondaires. Tout imparfait qu’est son talent, nous pouvons cependant, sans attendre les progrès qu’il devra peut-être à une plus complète maturité, reconnaître à Browning parmi les poètes actuels de l’Angleterre une physionomie à part, un rôle distingué. Sa hardiesse nous plaît ; son originalité, qui souvent lui coûte cher et ne vaut pas toujours ce qu’elle lui coûte, n’en est pas moins une qualité dont il faut savoir lui tenir compte. Enfin il a, ce qui suffirait à nous le recommander, le goût et la connaissance des littératures européennes. Dans ce temps où les écrivains anglais semblent mettre leur orgueil à s’isoler, à se rendre inaccessibles, et, — chose étrange, — à ignorer ce qui se passe hors de leur île, à s’abstraire du grand mouvement extérieur, on ne refusera point quelques éloges à celui qui cherche des ressources dans la communion

  1.  ::Just for a handful of silver he left us,
    Just for a ribband to stick in his coat, — etc.
    (Dramattic Romances and Lyrics, p. 8).