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devant vous… » Maintenant dictez-moi la lettre qui doit démentir la promesse ainsi faite ; trouvez les mots dont je dois me servir.

MILDRED. — Mais, Thorold, — si je le recevais comme il s’attend à être reçu ?

TRESHAM. — Le comte !

MILDRED. — Je suis prête à l’accueillir.

TRESHAM, se levant, indigné. — Holà ! Guendolen !

(entrent Guendolen et Austin[1].

TRESHAM. — Guendolen, et vous aussi, Austin, soyez les bien-venus. Regardez de ce côté. Vous voyez bien cette femme…

AUSTIN et GUENDOLEN, stupéfaits. — Quoi ! Mildred…

TRESHAM. — Celle qu’on appelait Mildred autrefois, et maintenant une fille perverse qui chaque nuit, — lorsque les habitans de la maison paternelle sont livrés au sommeil, — reçoit, la perfide et l’infâme, le complice de ses plaisirs criminels… oui, sous ce toit qui vous abrite, Guendolen, et vous, Austin, sous ce toit que tour à tour ont habité mille Tresham, dont aucun, Dieu merci, ne ressemblait à cette misérable. »


Dans une situation pareille, en face d’une si violente accusation, victime d’un malentendu si évident et si facile à éclaircir, comprend-on que Mildred se taise ? Il le faut cependant, car toute la pièce repose sur l’erreur où demeure Tresham. Du reste, ce n’est qu’une des mille invraisemblances à relever dans cette fable singulière. Ainsi Mildred, après l’étrange scène que nous venons de lire, ne juge pas à propos de contremander Mertoun, qui, le soir même, doit se rendre secrètement chez elle. Expliquez-vous, si vous le pouvez, l’imprudence aveugle de ces deux amans, et le peu de souci que témoigne le comte pour l’honneur de celle qui, le lendemain même, va devenir sa femme ; expliquez-vous encore que la rage de Tresham contre l’audacieux inconnu surpris par lui sous le balcon de Mildred ne s’apaise pas quelque peu lorsque, ce naïf séducteur venant à jeter son masque, il reconnaît le fiancé de sa soeur. Mais non : bien que la réparation de l’outrage fait au nom des Tresham soit assurée s’il laisse la vie à Mertoun, Thorold se croit tenu de provoquer et d’immoler ce pauvre jeune homme qui ne fait pas mine de vouloir sérieusement se défendre ; après quoi le drame finit par le trépas du frère vengeur et de la sœur coupable, Austin et Guendolen restant seuls au monde pour que l’écusson si bien lavé dans ces flots de sang n’aille pas s’écarteler avec quelque autre blason moins illustre.

Browning n’a pas écrit moins de six autres pièces, tantôt pour la scène, tantôt pour la lecture, et qui ont été réunies par lui dans un

  1. Austin est le frère cadet de lord Tresham ; lady Guendolen est leur cousine et l’amie de Mildred.