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Dans la préface d’un drame remarquable, écrit en vue d’une réaction décisive, et par un poète qui s’est conquis un rang distingué dans le mouvement actuel de la poésie anglaise[1], nous trouvons un jugement sévère sur ces monarques littéraires si brusquement découronnés.


« Ce qui les caractérise, c’est une fervente sensibilité, une grande prodigalité d’images, la vigueur et la beauté du style, la facilité, l’adresse de la versification, le talent de lui communiquer, par un rhythme accentué fortement, cette espèce de mélodie qui caresse le mieux l’oreille inexpérimentée. On trouve chez eux ce que la poésie a de plus attrayant : chaleur intérieure, ornementation brillante ; et si l’admiration qu’ils excitaient n’avait pas eu pour résultat de rendre le public indifférent à des qualités plus hautes, plus sérieuses et plus variées, on n’aurait pu, sans injustice, la juger excessive ; mais en s’abandonnant ainsi, sans aucun frein, à une poésie exclusivement voluptueuse, n’en était-on pas venu à méconnaître ce qu’il y a d’intellectuel et d’immortel dans cet art sublime ? J’avoue que telle est ma pensée, et j’aurais peine à croire que le goût public n’ait dû subir une fâcheuse altération, lorsque les chefs-d’œuvre du passé se sont trouvés tout à coup sans lecteurs. Nous y revenons aujourd’hui ; mais il a fallu vingt-cinq ans pour nous rendre ce culte proscrit… »


M. Taylor poursuit en signalant les plus essentiels défauts des poètes modernes. Il leur reproche l’abus des images, l’absence d’observation et de sagesse expérimentale. Au lieu d’étudier la vie, ils planent dans des régions inhabitées qu’ils peuplent de leur orgueil insatiable, de leur personnalité ambitieuse. Tout ce qui est simple, vrai, raisonnable, leur demeure étranger. Entre leurs mains, la poésie n’agit plus guère que sur l’imagination et sur les sens, « Le langage même qu’ils parlent est en désaccord absolu avec les conditions morales où l’homme doit être placé pour faire usage de son libre entendement. Les réalités de la nature et ce qu’elles suggèrent d’idées justes, mêlées à cet impétueux courant de sentimens exaltés et de tableaux surchargés de couleurs, choqueraient par leur froideur inopportune… Ces fantaisies ailées ne peuvent prendre pied sur la terre où nous marchons, ni respirer l’air qui fait vivre le commun des hommes. »

Il est naturel que toute émotion factice se dissipe promptement, que tout prestige dure peu. Lord Byron, avant d’avoir parcouru sa courte et orageuse carrière, était en quelque sorte las de lui-même, et ses succès, — pour lesquels il n’est pas certain qu’il ne méprisât point ses lecteurs, — lui avaient laissé une sorte de remords. Lord Byron cependant, s’il n’était pas un philosophe accompli, possédait à plus forte dose que beaucoup de ses successeurs les plus précieuses et les plus solides qualités de l’intelligence. Jamais sa logique ne lui fait absolument défaut ; jamais il ne se laisse aller à ces aberrations fantastiques,

  1. Voyez la préface de Philip van Artevelde, drame de M. Henri Taylor.