Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/632

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous ai-je dit qu’il y eût des cadavres ? Telle n’est pas notre tradition. Les astres promettaient au calife quatre-vingts ans de vie, s’il échappait au danger de cette nuit du 27 schawal 411 de l’hégire. Ne savez-vous pas que, pendant seize ans après sa disparition, le peuple du Caire ne cessa de dire qu’il était vivant ?

— On m’a raconté, en effet, bien des choses semblables, dis-je ; mais on attribuait les fréquentes apparitions de Hakem à des imposteurs, tels que Schérout, Sikkin et d’autres, qui avaient avec lui quelque ressemblance et jouaient ce rôle. C’est ce qui arrive pour tous ces souverains merveilleux dont la vie devient le sujet des légendes populaires. Les Cophtes prétendent que Jésus-Christ apparut à Hakem, qui demanda pardon de ses impiétés et fit pénitence pendant de longues années dans le désert.

— Selon nos livres, dit le cheik, Hakem n’était pas mort des coups qui lui avaient été portés. Recueilli par un vieillard inconnu, il survécut à la nuit fatale où sa sœur l’avait fait assassiner ; mais, fatigué du trône, il se retira dans le désert d’Ammon, et formula sa doctrine, qui fut publiée depuis par son disciple Hamza. Ses sectateurs, chassés du Caire après sa mort, se retirèrent sur le Liban, où ils ont formé la nation des Druses.

Toute cette légende me tourbillonnait dans la tête, et je me promettais bien de venir demander au chef druse de nouveaux détails sur la religion de Hakem ; — mais la tempête qui me retenait à Beyrouth s’était apaisée, et je dus partir pour Saint-Jean-d’Acre, où j’espérais intéresser le pacha en faveur du prisonnier. Je ne revis donc le cheik que pour lui faire mes adieux sans oser lui parler de sa fille, et sans lui apprendre que je l’avais connue chez Mme Carlès.