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arriva en 1822 à Lih, capitale du Ladakh, dans le Bas-Thibet ; il avait séjourné, chemin faisant, à Constantinople, au Kaire, à Bagdad, et traversé la Perse, l’Afghanistan, rarement exploré, la Bactriane, pleine de souvenirs, et les provinces de l’Inde supérieure. Il s’appelait lui-même « un pauvre étudiant, possédé de l’envie de voir les pays d’Orient qui ont été le théâtre d’événemens si mémorables, d’observer les coutumes des différens peuples de l’Asie et d’apprendre leurs langues, dans l’espoir que le monde tirerait quelque avantage de ses travaux. » Et dans son humilité il ajoute : « Pendant toutes mes pérégrinations, je n’ai pu sustenter ma vie que par l’effet de la bienveillance des hommes. »

De la capitale du Ladakh, où il fut rencontré et assisté dans son dénûment par le voyageur anglais Moorcroft, Csoma alla s’établir dans le monastère bouddhique de Kanoum, situé au milieu de la vallée du Haut-Sudiedge ; il y resta quatre ans, occupé sans relâche à étudier la langue et la littérature du Thibet sous la direction d’un lama. Le docteur de Goettingue, qui avait écouté la parole de Blumenbach, se faisait le disciple d’un religieux ignoré et retournait à l’alphabet ; mais cet alphabet était une conquête. Avec une vocation si déterminée, Csoma ne tarda pas à faire de rapides progrès dans l’idiome thibétain ; aussi fut-il bientôt maître des textes les plus difficiles. Un pays où l’instruction élémentaire est très répandue, et qui, dit-on, a doté l’Europe de la méthode lancastrienne, un pays rempli de monastères, et par conséquent de bibliothèques, devait être un Eldorado pour un savant passionné comme Csoma de Köros. Les rigueurs du climat ne l’épouvantaient pas ; on l’a vu, par un froid atroce, tranquillement assis à la porte d’un couvent, dans une mauvaise cabane, côte à côte avec un religieux, lisant à haute voix les livres bouddhiques. Quand la page était finie, les deux lecteurs se poussaient le coude pour s’avertir mutuellement de tourner le feuillet, et c’était à qui ne tirerait pas sa main de dessous la longue manche fourrée, dans la crainte de l’exposer aux dangers de l’air extérieur.

Quand il descendit des montagnes du Thibet, sa réputation l’avait précédé ; la Société asiatique de Calcutta le nomma bibliothécaire, et il s’occupa de mettre à profit la science qu’il venait d’acquérir. A l’abri du besoin dans cette position honorable, entouré de ses livres, il publia bientôt une grammaire et un dictionnaire thibétains, ainsi que des analyses détaillées de la grande collection qui porte le titre de Kan-djour. Dès-lors fut fondée et livrée à l’Europe la connaissance d’un idiome sur lequel on ne possédait que des documens tout-à-fait incomplets et d’une littérature totalement ignorée. Ces travaux l’occupèrent pendant neuf ans ; il avait fait de son cabinet une espèce de cellule d’où il ne sortait guère que pour se promener de long en large dans les grandes salles voisines. C’est là que, pendant notre séjour au