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aucun compte[1], se refusant aux assimilations euphoniques qui sont la première loi de l’orthographe sanscrite, il a fallu séparer chaque mot par un point. C’était enlever à cette écriture toutes les ressources de son mécanisme ingénieux, toute la richesse de ses harmonieuses combinaisons. Le système graphique des Coréens et des Japonais eût sans doute été plus naturel au génie de la langue du Thibet, qu’on ne peut en aucune façon rapprocher des dialectes de l’Inde, tandis qu’elle offre au moins des rapports extérieurs avec les idiomes voisins de la Chine et avec celui du Céleste Empire. Très défiant, d’ailleurs, à l’endroit des étymologies et des rapprochemens, nous ne saurions applaudir aux découvertes d’un Allemand érudit, qui a cru pouvoir se servir d’emprunts faits au dialecte du Thibet pour recomposer le langage des Titans[2]. Le temps n’est pas venu de savoir et de dire si l’idiome thibétain se rattache à quelques-uns de ceux qui sont déjà connus, ou si, pareil à d’autres (en petit nombre il est vrai) parlés aussi par des peuples montagnards, il ne reste pas comme un débris de temps perdus pour l’histoire. Quand on cherche à retrouver les étymologies d’une langue qui n’a pas été écrite pendant une longue suite de siècles, on ne doit pas oublier les altérations qu’elle a certainement éprouvées en se transmettant de race en race chez des peuples ignorans, peu préoccupés de fixer les sons.

Ce fut précisément au VIIIe siècle, à l’époque de sa plus grande puissance, que la nation thibétaine, attirée vers les nouvelles doctrines, voulut les connaître à fond ; pour les mieux étudier, elle se mit à traduire les livres bouddhiques qui fourmillaient dans l’Inde. Vers l’an 755 arrivèrent à Lhassa les cent huit volumes, fondemens de la croyance, recueillis, dit la tradition, de la bouche même du maître, et écrits par ses disciples. Ils y furent apportés très certainement par des pandits indiens qui se montrèrent bientôt fort nombreux au Thibet et firent de ces montagnards un peuple de néophytes. Il y eut alors dans ces vallées profondes, troublées seulement par le bruit des torrens, autour de ces lacs paisibles ombragés de pins séculaires, dans ces froides montagnes où les Chinois et les Indiens plaçaient les démons et les génies malfaisans, un mouvement intellectuel, un essor littéraire, bien dignes d’être remarqués. Des masses de volumes renfermant la plus subtile philosophie, la métaphysique la plus abstraite, furent acquis à cet idiome qui n’avait jamais été écrit. À leur arrivée à Lhassa, les docteurs de l’Inde s’étaient empressés de rédiger un dictionnaire sanscrit-thibétain ; pour bien fixer le sens des textes sacrés, ils convinrent d’adapter invariablement les mêmes mots à l’interprétation des mêmes pensées.

  1. Il en est ainsi dans la province de Lhassa et dans la capitale même du Thibet. Dans d’autres localités, on prononce ces lettres, mais sans y ajouter de voyelles.
  2. Das Sprachgesclilecht der Titanen, von J. Ritter von Xylander,