Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/487

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Jacques, qui répétait toujours en matière de morale : « Je ne suis chargé que de moi seul, » Emerson répète sans cesse : « Croyez-en votre pensée, sans vous inquiéter de ce que pensent les autres. Ne redoutez pas non plus de passer pour non persistant dans votre opinion. Vouloir être toujours conséquent avec soi-même, c’est vouloir rattacher par des sophismes ce qui est et ce qui fut. Si vous ne croyez plus à votre opinion d’hier, rejetez-la, si une nouvelle pensée s’offre à vous, acceptez-la. « Ah ! s’écrieront les vieilles ladies, vous serez bien sûr alors de n’être pas compris. « N’être pas compris ! c’est le mot d’un fou. Est-il si mauvais déjà de n’être pas compris ? Pythagore ne fut pas compris, et Socrate, et Jésus, et Luther, et Copernic, et Galilée, et Newton, et chaque pur et sage esprit qui jamais prit chair. Être grand, c’est n’être pas compris. » Emerson dirait volontiers avec Pascal que c’est une sotte chose que la coutume, « que cette maîtresse d’erreur que l’on appelle fantaisie et opinion ; » mais il va plus loin que Pascal. La coutume doit être suivie, selon Pascal, tant qu’elle n’attaque pas le droit naturel et divin. Il faut éviter de suivre la coutume, selon Emerson, tant qu’elle contrarie notre opinion individuelle et naturelle. « Quel cas font de la coutume les grands génies, les ames vraies ? s’écrie-t-il ; ils l’anéantissent, et c’est pourquoi l’histoire n’est que la biographie de quelques hommes, grands parce qu’ils ont cru en eux. La postérité suit leurs pas comme une procession. Une institution n’est que l’ombre allongée d’un homme. »

Quelle est la faculté qui donne cette confiance en soi ? Est-ce la volonté ? est-ce l’intelligence ? Non. D’après Emerson, c’est l’instinct, la spontanéité. Cette confiance en soi n’est pas une force qui dirige, elle est un flot qui entraîne, car qu’est-ce que l’instinct, la spontanéité ? Ce sont les forces les plus profondes de notre être, celles dont les sources mystérieuses jaillissent au moment le plus inattendu, que l’analyse ne peut atteindre. Ainsi, cette confiance née de la spontanéité nous mène directement à l’intuition. Porté sur les ailes de la pensée spontanée, nous atteignons à l’être, et en plongeant dans la source de toute existence nous devons oublier nécessairement les temps et les lieux, les choses et les hommes. Cette foi dans la puissance de la spontanéité nous donne la clé de toutes les théories d’Emerson. À la mystérieuse lumière de la pensée spontanée, nous verrons apparaître la nature, série indéfinie d’images et de symboles, l’humanité avec son histoire, suite de fables charmantes ou terribles. Chaque homme arrive ainsi à une révélation individuelle. Est-ce là du panthéisme ? est-ce là du mysticisme ? Cette théorie touche à l’un et à l’autre à la fois. Néanmoins nous croyons pouvoir dire que le mysticisme d’Emerson est tout simplement un mysticisme puritain. Dans le mysticisme catholique, cette sorte d’intuition est l’effet d’une grace divine, non de l’accomplissement d’un devoir mo-