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bien de sectes, toutes ayant des explications différentes, des commentaires ridicules, une exégèse risible, des liturgies souvent fort équivoques. Descartes avait affaire à des scolastiques logiciens, aristotéliciens ; il fonda une métaphysique. Emerson a autour de lui des scolastiques religieux ; quelle philosophie peut-il créer ? Une philosophie morale.

Le troisième motif qui a pu diriger Emerson dans le choix de sa doctrine, c’est le gouvernement même des États-Unis. Les tendances d’Emerson sont certes très démocratiques ; il estime même que la démocratie est le gouvernement qui convient le mieux à l’Amérique. On pourrait s’étonner alors de cette philosophie créée au profit de l’individu. Réfléchissons cependant. Au milieu de cette foule d’intérêts, de passions et de contradictions, où reposer nos yeux ? Au milieu de ce tourbillon où trouver un cœur tranquille ? Sur quelle base fixe élèverons-nous une philosophie ? Les masses sont admirables sans doute lorsqu’elles sont unanimes, parce qu’alors elles agissent comme un seul individu ; mais est-ce à la foule qu’on peut s’adresser tout d’abord ? Emerson a eu sous les yeux les agitations, les fluctuations de la multitude, et c’est pour l’individu qu’il a écrit.

Emerson prend l’individu et lui dit : « Crois en toi. » Crois en toi avec la force d’un homme et la confiance d’un enfant. Pas de dédain pour soi-même, pas de timidité, de recherche infructueuse dans les œuvres d’autrui. Évitez de recevoir d’un autre votre conviction. Avez-vous peur de vous isoler des autres hommes ? Mais croire que ce qui est vrai pour soi est vrai pour tous les autres, cela est le génie. N’imitons donc jamais, car rien n’est plus sacré que l’intégrité de notre propre esprit ; c’est ce qui nous conquiert le suffrage du monde. Les récompenses de cette confiance en soi sont l’originalité et l’honnêteté, et en effet plus on est original et plus on est sincère, moins on imite et plus on est honnête. En conservant l’intégrité de son esprit, on est l’ennemi du mensonge, et l’humanité vous honore précisément parce que vous n’avez sacrifié à l’estime d’aucun homme en particulier. Parler pour n’être pas combattu, écrire pour éviter la critique, est une triste chose. C’est un pitoyable contrat passé avec les hommes que de céder une partie de sa conviction pour n’être pas tourmenté sur l’autre moitié. La pensée n’a pas été donnée à l’homme pour plaire aux pensées d’autrui et caresser ses habitudes. Mais, cependant, ce sont des mots nés de la politesse et de l’urbanité, inventés pour éviter les contradictions et tourner les difficultés. La volonté n’a dans son vocabulaire que deux mots : oui et non. Le oui ne doit pas hésiter, le non ne doit pas reculer.

La confiance en soi est donc le principe de la morale d’Emerson. Pour arriver à cette confiance en soi, deux qualités sont requises, la non conformité et la non persistance : la non conformité, c’est-à-dire qu’il ne faut pas craindre de heurter les préjugés du monde et ses prétentions à mieux connaître votre devoir que vous. Comme l’ami de Jean-