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la doctrine des Tao-Ssé de la Chine ? Serait-ce plutôt une religion terrible, sombre, comme les régions du nord où elle aurait pris naissance, quelque chose d’analogue aux croyances des Scandinaves et des autres peuples qui, à l’aurore des temps historiques, se répandirent à travers le globe ? Cette dernière supposition, quoique hardie, se trouverait étayée par un passage des historiens chinois de la dynastie des Tang. D’après leur témoignage, on enterrait avec les Tou-Fan des chevaux et des bœufs immolés sur leur tombe ; dans certaines solennités, on sacrifiait des victimes humaines[1]. Ajoutons que les Thibétains, au temps où ils ignoraient l’art d’écrire, gardaient le souvenir des événemens au moyen de morceaux de bois entaillés et de cordelettes marquées par des noeuds. Cette circonstance, si elle est bien avérée, rapprocherait ces peuples de ceux de l’Amérique du Nord, qui, comme les tribus tartares, élevaient des tumuli et ensevelissaient avec leurs chefs des animaux domestiques.

Les livres sacrés du Bas-Thibet, quand on les aura en Europe, serviront à soulever en partie le voile qui cache l’origine de la nation thibétaine ; mais, quelle que soit l’antiquité des dogmes qu’ils renferment, ils doivent être d’une rédaction comparativement moderne, puisque les Tou-Fan ne possédaient point d’alphabet avant le VIIe siècle. L’écriture leur fut apportée de l’Inde avec le bouddhisme, et c’est un fait incontestable, car les caractères thibétains ne sont pas autre chose que les caractères dévanagaris ou sanscrits du VIIIe siècle, tels que les présentent les inscriptions de cette époque tracées sur un grand nombre de monumens. Cent ans auparavant, les Tartares mongols et mandchoux, qui ne connaissaient point non plus de système graphique, avaient reçu des missionnaires nestoriens l’écriture syriaque avec l’enseignement de l’Évangile ; mais le christianisme ; porté jusqu’au centre de la Chine par les prêtres hérésiarques, n’y eut guère plus de durée, que la prédication même. Les Tartares se servirent de l’alphabet chaldéen pour traduire des livres destinés à fixer chez eux le paganisme et l’idolâtrie, tandis que le Thibet, fidèle à son initiation première, se voua uniquement à la reproduction des ouvrages bouddhiques. Singulier spectacle que celui de ces populations, long-temps rebelles à l’influence des civilisations voisines, prêtant tout à coup l’oreille à une révélation inattendue ! Ne tenant au passé que par des traditions orales à demi effacées, privées de direction, elles s’aimantent, pour ainsi dire, au courant des idées religieuses qui traversent le monde.

Il s’en fallait de beaucoup, cependant, que le système graphique des Hindous s’adaptât convenablement à la langue thibétaine. Cet idiome monosyllabique, surchargé de lettres dont la prononciation ne tient

  1. Klaproth, Tableaux historiques de l’Asie.