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donna à ses peuples une vive impulsion et agrandit considérablement son royaume. S’avançant vers le sud-ouest, il se trouva en contact avec l’Inde, pays mystérieux, terre de poètes et de penseurs que l’on n’abordait point sans y gagner quelque chose. On sait que le VIe siècle fut pour l’Inde comme le quatrième acte de la grande lutte du brahmanisme, revendiquant l’ordre des castes et son droit de souveraineté sur elles, contre le bouddhisme émancipateur, qui prêchait l’égalité de naissance. De Ceylan à l’Himalaya, la querelle s’envenimant, on avait vu les guerres succéder aux discussions métaphysiques. Les brahmanes reprenaient leur influence, long-temps compromise ; les sectateurs de Bouddha commençaient à se retirer aux extrémités de, ce grand pays, qui, dans le feu de la réaction, se préparait à les renier et à les proscrire. Ils se retranchaient à Ceylan et au Nepâl, où ils se sont maintenus jusqu’à nos jours ; d’autres plus aventureux avaient émigré à travers les vastes provinces de la Chine. Ce fut dans ces circonstances que le successeur du roi thibétain que nous venons de nommer, ayant eu quelques notions de la doctrine bouddhique, envoya dans l’Inde son premier ministre pour y étudier à fond les dogmes autour desquels il se faisait tant de bruit au pied des montagnes. Tel est le récit des historiens chinois sur l’introduction des dogmes bouddhiques au Thibet ; il nous semblerait plus naturel de croire qu’un religieux bouddhiste, forcé de s’exiler des bords du Gange ou se rendant à la cour des empereurs chinois, depuis long-temps ouverte aux bonzes, trouva un asile auprès du prince qui régnait à Lhassa, gagna sa confiance et devint son conseiller. Ce qui paraît certain, c’est que le premier temple où l’on adora Bouddha dans le Thibet fut bâti l’an 632 de notre ère, l’année même où Mahomet mourait à Médine après avoir soumis l’Arabie entière à ses lois et à sa prédication. Au moment où l’islamisme allait déborder sur les trois parties du monde ancien, le bouddhisme, qui avait achevé à travers la Chine, le Japon et la Corée, ses conquêtes pacifiques, se choisissait une retraite dans les hautes régions de l’Asie centrale.

Les anciens Arabes adoraient à la Mecque même des idoles fameuses que le prophète renversa ; la croyance importée de l’Inde au Thibet y rencontra aussi une religion primitive qui ne tarda pas à s’effacer. Tout ce qu’on en sait aujourd’hui, c’est qu’elle se conserve encore dans le Bas-Thibet, où on la nomme religion de Bon ou de Pon ; mais, aux lieux mêmes où elle se cache, il existe des livres dans lesquels les sectateurs opiniâtres de ce culte antique ont recueilli et déposé leurs traditions sacrées. On ne doit donc pas désespérer d’avoir un jour quelque lumière sur une croyance qui remonte, sans aucun doute, à une époque très reculée. Serait-ce simplement le culte des esprits, très ancien dans la Haute-Asie, et auquel se rattacha, cinq siècles avant notre ère,