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des plus jeunes écrivains dramatiques de la Péninsule, l’un de ceux qui sont encore aujourd’hui pour l’Espagne une espérance. Rubi a emprunté au XVIIIe siècle un de ses personnages les plus marquans pour le produire sur la scène, pour résumer en lui cette destinée changeante d’un ministre qu’un tour de roue de la fortune élève ou renverse. Les deux parties de la Rueda de la fortuna sont consacrées à cette double comédie de l’élévation et de la chute d’un homme. Ce sont deux pièces qui ne forment, à vrai dire, qu’un même ouvrage, qui se continuent l’une l’autre avec les mêmes personnages, une action différente et une pensée unique, — l’inconstance de la vie publique. Il y a, à notre avis, un réel avantage dans cette division, qui est celle de beaucoup d’œuvres espagnoles contemporaines ; elle favorise plus que toute autre les développemens larges et féconds ; elle permet d’étendre une idée dramatique et d’en faire jaillir tous les effets sans confusion, de retracer les phases opposées d’une destinée sans précipiter la marche de l’action, des sentimens et des caractères, sans sacrifier une partie à l’autre, en réunissant au contraire dans chacune d’elles tous les élémens d’intérêt qui lui sont propres. Les deux drames s’éclairent mutuellement pour le spectateur intelligent qui les voit se dérouler devant lui, qui suit le même homme dans des actions différentes et peut le retrouver transformé par l’âge, par les épreuves morales et tous les accidens de la vie, si le poète a su habilement tenir compte de ces variations successives de la nature humaine. Ajoutons que c’est aux esprits supérieurs que peut plaire surtout un tel procédé de création dramatique ; c’est celui qu’ont employé des génies bien divers, Schiller et Beaumarchais. — La comédie de Rubi traite assez légèrement l’histoire pour une comédie historique ; on y pourrait souhaiter une contexture plus ferme et plus nourrie, plus de logique et de vérité parfois dans l’invention ; mais n’arrive-t-il pas souvent qu’une œuvre où les invraisemblances abondent, dont les imperfections sautent aux yeux, a cependant une distinction qui attire, qu’elle fait penser, — mérite rare ? Telle est la Rueda de la fortuna, qui est le véritable titre littéraire de Rubi, et que n’égalent, parmi les autres productions de l’auteur, ni ses esquisses pittoresques de mœurs andalouses, comme la Feria de Mairena, l’Auberge de Cardenas, Derrière la croix le diable, ni ses essais de comédie plus sérieuse, tels que l’Art de faire fortune, l’Entrée dans le grand monde, ou la Cour de Charles II qui fut interdite l’an dernier comme une redoutable allusion. Ces œuvres diverses prouvent la souplesse du talent de Rubi ; la Rueda de la fortuna prouve son élévation.

Le XVIIIe siècle, disions-nous, a fourni à l’auteur le sujet de sa comédie ; il sert du moins de cadre à l’invention romanesque. La cour de Ferdinand VI est le théâtre où Rubi a placé ce spectacle de la fortune prenant un homme dans l’obscurité pour le conduire à la richesse, à