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ironiquement plus d’un ridicule littéraire : « Comment ! dit-il, ne saurais-je pas faire une comédie ? J’ai lu Cañizarès, Arellano, Valladarès, Comella ; je sais bien qu’une comédie doit finir par un mariage, qu’elle doit durer deux heures ; je sais qu’elle se divise en actes, que les actes se divisent en scènes, et qu’à la fin on demande pardon au public… J’ai souscrit cette semaine à la revue et au journal, et j’ai acheté un dictionnaire. Que me manque-t-il donc ? D’être poète, par hasard ? Quelle folie ! Dites-moi, ceux qui font des pièces sont-ils poètes ? » Don Saturio a raison, et nous ne voyons pas beaucoup d’exemples qui puissent le décourager ; il a pris même un soin qui commence à devenir superflu il a acheté un dictionnaire ! — Breton de los Herreros atteint ainsi de sa verve satirique les ridicules les plus divers ; il a retrouvé la veine de la gaieté nationale, et parfois même son ironie prend un accent plus animé et plus profond qui dénote mieux encore l’homme de ce siècle.

La légèreté comique par laquelle se distingue l’auteur de Marcela ne s’efface-t-elle pas en effet devant un sentiment plus vif de l’inconsistance de l’homme dans Muerete y veras (Meurs et tu verras) ? Entre toutes les perversités qui peuvent gangrener le cœur, l’auteur choisit la plus triste peut-être. Muerete y veras est la comédie de l’ingratitude. Mourez, dit le poète comique avec une vérité dont l’amertume est mal dissimulée par la gaieté facile de l’action ; mourez, et vous verrez ce qui vous attend, ce qui attend du moins votre mémoire lorsqu’on croira n’avoir plus rien à craindre ou à espérer de vous ! C’est la promptitude de l’oubli, c’est l’infidélité des souvenirs chez une femme dont on rêvait la constance, chez un ami qu’on croyait sûr ; c’est le deuil intéressé de celui qui s’empresse d’essuyer ses larmes dès qu’il voit que vous n’avez rien à lui léguer ; c’est l’acharnement à vous maudire de quelque usurier hasardeux qui voit la mort lui arracher sa proie. Heureux si quelque cœur isolé et silencieux, auprès duquel vous serez passé peut-être inattentif et sans interroger sa muette tendresse, vous garde un culte fidèle et inespéré ! L’ironie peut, sans aucun doute, trouver de saisissans effets dans la combinaison de ces élémens : imaginez maintenant un homme que tout le monde croit mort et qui ne l’est pas cependant, qui revient pour assister lui-même à cette comédie jouée sur son tombeau ; vous aurez l’œuvre de Breton, — œuvre à demi sérieuse, à demi bouffonne, où la gravité philosophique de la pensée est à chaque instant atténuée par la malignité de la forme. Don Pablo est cet homme que l’auteur ramène à la vie ; c’est un jeune milicien de Saragosse abandonné sur le champ de bataille dans un de ces mille combats qui ont signalé la dernière guerre, et, lorsqu’il revient vers le monde qu’il a quitté naguère et qui ne l’attend déjà plus, que voit-il ? Quelques jours se sont à peine écoulés, et sa fiancée Jacintha est prête à se livrer à un nouvel amour ; c’est à peine si le regret a un instant effleuré son cœur.