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assigner un horizon bien étroit à l’ambition américaine ; supposer, aux États-Unis l’intention de conquérir tout le Mexique, ce serait élargir outre mesure, nous le croyons, le cercle où s’agite maintenant cette ambition. A notre avis, il ne s’agit aujourd’hui pour les Américains ni de résoudre une question de droit, ce qui n’eût entraîné à la rigueur que l’occupation du territoire en litige, ni de terminer une conquête qui leur serait présentement plus onéreuse qu’utile. Dans l’immense proie que la fortune de la guerre a déjà pour ainsi dire jetée entre leurs mains, ils ont d’avance marqué et limité leur part. S’ils arborent sur leur drapeau cette devise superbe : Jusqu’au palais de Montézuma, ce n’est que pour donner le change sur leurs véritables projets par une audacieuse promenade militaire. La guerre s’est divisée pour l’Union américaine en deux opérations : — occupation d’un immense croissant appuyé à l’est sur Tampico, à l’ouest sur Monterey et le port de San-Francisco de Californie (le plus beau port du monde connu), et embrassant dans son parcours 24 degrés de longitude ; — marche sur Mexico destinée à obtenir pour cette occupation accomplie de fait la consécration d’un traité. Si l’on se rappelle l’attitude des généraux américains durant la première période de la guerre, on ne gardera aucun doute sur cette double intention des vainqueurs du Mexique. Le général Taylor se posait en libérateur et en colonisateur plus encore qu’en chef d’armée. On cherchait par les insinuations de la presse à propager dans les populations des sympathies, des principes favorables à la cause de l’Union américaine. On éparpillait les troupes de l’armée d’occupation, on habituait par six mois de temporisation les habitans du pays envahi à la vue d’une armée étrangère, et, si l’on désobéissait ainsi aux préceptes les plus élémentaires de la stratégie, on suivait avec une fidélité rigoureuse les principes de toute bonne colonisation. Cette première partie de la guerre, pendant laquelle l’attitude des armées de l’Union parut une énigme à l’Europe, était plus importante en réalité pour l’ambition américaine que la campagne de Mexico.

Les provinces où les armées des États-Unis ont si prudemment frayé la voie à leurs colons se sont trouvées aussitôt peuplées que conquises. Il faut d’avance accepter comme un fait accompli l’installation des Américains dans l’état de Chihuahua, si riche en mines de cuivre ; dans l’état de Sonora, que recommandent ses nombreux placeras et ses mines d’or ; dans les Californies, et, par suite, dans les districts miniers de Zacatécas, de Durango, de Bolanos, source inépuisable de ces métaux précieux qui donnent à l’Europe le mouvement et la vie. Maîtresse absolue de ces mines, l’Amérique tiendra donc entre ses mains les rênes du crédit européen ; l’Amérique en confisquera tous les revenus à son profit, et remplacera par des richesses métalliques le papier-monnaie, auquel l’Europe pourrait bien alors être réduite. L’annexion