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on pouvait gravir la montagne qui servait d’abri à l’aile gauche, et entamer de ce côté la ligne ennemie. Deux mille cavaliers envoyés pas Santa-Anna réussirent, après de longs et pénibles efforts, à tourner la montagne, et à se jeter sur les derrières de l’armée de Taylor ; mais l’artillerie américaine, maîtresse de la route assez unie qui coupait la vallée, put facilement rétrograder et repousser cette attaque. Pendant que la cavalerie mexicaine se trouvait chaudement reçue, un détachement, distrait de la droite de l’armée américaine, vint attaquer les agresseurs eux-mêmes par derrière et leur couper la retraite. Taylor jugea ces deux mille hommes perdus, et soit humanité, soit prudence, il leur envoya un parlementaire pour les sommer de se rendre ; mais l’officier mexicain à qui ce parlementaire, le lieutenant Cristendon du Kentucky, s’adressa, prétendit ne pas comprendre l’objet du message, et insista pour mener l’envoyé américain au camp de Santa-Anna. Le lieutenant y consentit, se laissa bander les yeux, et fut conduit au camp mexicain. Quand on fut arrivé sous la tente de Santa-Anna, on leva le bandeau, et l’officier se trouva en face du général entouré d’un brillant état-major. Santa-Anna commença par blâmer l’officier qui avait amené le parlementaire d’avoir pris d’inutiles précautions. Montrant de la main l’armée nombreuse qu’il commandait, il demanda à l’Américain si le général qui se voyait à la tête de semblables troupes avait quelque chose à cacher. L’officier s’inclina avec toute la raideur américaine, et fit part de son message. Santa-Anna joua l’étonnement, fronça le sourcil, leva les yeux au ciel, et s’écria qu’il y avait folie au général Taylor, non-seulement de faire à deux mille Mexicains la proposition de se rendre, mais de prétendre lui-même prolonger une inutile résistance. « Taylor ne se rend jamais, » répondit emphatiquement le Kentuckien, et, saluant le général, il vint rendre compte à Taylor du résultat de sa mission. On devine que les deux mille cavaliers tenus en échec avaient su mettre à profit le temps consacré à ces pourparlers ; ils s’étaient dispersés à la faveur de cette courte trêve, et les Américains furent dispensés de mettre leur courage à l’épreuve. Cet incident termina la journée.

Le lendemain matin, avant que le combat recommençât, un parlementaire, mais un Mexicain cette fois, gagna les lignes américaines, et demanda à être introduit près du général en chef. On le mena devant un homme à cheveux gris, à la figure sillonnée de rides profondes, accroupi plutôt que monté sur un cheval blanc. Cet homme, vêtu d’un frac brun usé, devenu historique dans les campagnes de la Floride et du Texas, était le général Taylor, surnommé Old rough and ready[1] par les Américains. Brusquement sommé d’expliquer le motif de sa

  1. Old rough and ready mot à mot « le vieux brutal et prompt. » Nous ne savons trop par quelle expression soldatesque rendre ce surnom en français.