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mouraient sans reculer, comme ils savent parfois mourir. Une autre partie de l’armée américaine avait profité de la fumée pour s’embusquer dans les bois et déborder ainsi la gauche mexicaine. Averti de cet incident, Arista transmit au général Torrejon l’ordre de déloger l’ennemi du bois. C’était une tâche presque impossible. Le général en chef oubliait qu’une vaste lagune, où peu de jours avant la bataille l’armée mexicaine s’était approvisionnée d’eau, protégeait ce bois et le rendait presque imprenable. Le général Torrejon entreprit néanmoins d’obéir ; mais les abords noyés de la resaca, un second lac de feu formé par le goudron enflammé qui se répandait de tous côtés, opposèrent un obstacle invincible aux soldats, qui, enfoncés jusqu’à la ceinture dans un marais fangeux, se trouvèrent encore arrêtés par un bataillon et deux pièces de campagne postées sur le bord opposé de l’étang. Le général Torrejon renonça à exécuter les ordres d’Arista, qui insistait pour qu’on chargeât, nonobstant les difficultés du terrain. L’artillerie transportée dans le bois par les Américains put commencer à battre d’enfilade toute la ligne mexicaine, et mit ainsi le désordre à son comble. Au dire d’un officier témoin de cette sanglante affaire, les boulets américains arrivaient jusqu’aux ambulances, situées à quinze cents vares[1] du champ de bataille, et vinrent emporter le bras droit d’un malheureux blessé dont on amputait le bras gauche.

Il fallait cependant sortir de cette position critique. Le général don Romulo de la Vega, placé à l’aile gauche, fit demander les ordres d’Arista, qui se trouvait à la droite. La réponse du général en chef, mal comprise, entraîna de nouveaux et funestes délais. Ce ne fut que vers cinq heures que les guidons mexicains vinrent marquer une autre ligne de bataille à l’armée, qui s’avança dans un nouvel ordre. Par une étrange fatalité, il arriva en ce moment à la droite ce qui était arrivé à la gauche quelques heures auparavant. Comme la gauche, la droite voyait diminuer ses rangs et demandait le combat à grands cris. Arista la fit avertir de se préparer à l’attaque. Les troupes mexicaines, encore pleines d’enthousiasme, croisèrent la baïonnette, attendant le signal de la charge. On avait cru que ce signal suivrait l’avertissement du général, et cependant l’ordre ne venait pas. Deux fois la volonté d’Arista, expressément formulée, retint les troupes au moment où elles allaient se mettre en marche. Dès-lors la situation devint intolérable ; le désordre se mit dans les rangs des soldats mexicains, désespérés de mourir sans utilité, sans gloire, sans vengeance. Les cris de trahison volèrent de bouche en bouche, et un mouvement rétrograde s’opéra. Il fallut que le général en chef se mît à la tête de l’aile droite pour exécuter la charge. A ce seul moment, Arista retrouva cette intrépidité

  1. La vara équivaut à peu près à un mètre.