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dans les airs des gaz rougis par le feu, de la fumée, du sable, des scories. Chaque déjection était accompagnée d’un bruit proportionné à l’énergie assez faible des feux souterrains. Le ruisseau de lave a devant nous tantôt redressé et renversé des blocs solides qui se trouvaient sur son passage, tantôt soulevé et emporté ces fragmens qui flottaient à la surface comme autant de glaçons. En présence de cette concordance parfaite, il est bien permis de penser que les redressemens de couches, les soulèvemens qui se sont passés sous nos yeux dans le cratère du Vésuve, doivent se reproduire sur des proportions bien plus considérables dans les éruptions en général, dans celles de l’Etna en particulier. La gibbosité centrale, le cône terminal, formés de couches soulevées, par conséquent fracturées dans bien des points, et de matériaux mobiles simplement tassés, ne peuvent avoir une stabilité bien grande. Les effondremens qui se passent sur les bords du cratère, sur le Piano del Lago et sur bien d’autres points, prouvent assez combien est peu solide cette espèce d’échafaudage. Lorsque les fourneaux souterrains s’allument, fondent les roches et dégagent une énorme quantité de gaz, il faut bien qu’une issue se fasse en un point quelconque. Et si le cratère tarde à s’ouvrir, si les canaux se trouvent fermés, pourquoi la lave bouillonnante ne soulèverait-elle pas cette voûte de hasard qui la renferme, comme la lave du Vésuve, agissant seule et sans secousses aucunes, a, sous nos yeux, soulevé un monticule de plusieurs pieds de haut[1] ?

La différence d’épaisseur des couches ne saurait, ce nous semble, être ici invoquée pour combattre ces déductions. La croûte qui nous porte et dans laquelle est creusé le bassin des mers est-elle donc en réalité si solide ? Voyez plutôt. Des provinces entières tantôt s’exhaussent graduellement et d’une manière continue, comme une portion de la Scandinavie, tantôt se trouvent brusquement élevées au-dessus du niveau primitif comme l’ont été en 1822 les territoires de Valparaiso et de Quintero. Des îles considérables, sortant du fond de la mer, tantôt ne font que se montrer et disparaître comme ces îles des mers d’Islande et des Açores qui s’élèvent, jettent des flammes et s’enfoncent dans les abîmes d’où elles étaient sorties, comme l’île Julia, qui, en 4831, surgit dans les mers de Sicile, et dont il ne reste plus de traces, tantôt s’affermissent et accroissent d’autant leur archipel, comme à Santorin, aux îles Aléoutiennes, aux Açores, où en 1757 il se forma en moins d’un an neuf îles nouvelles. Ici, en une seule nuit, des plaines sont soulevées

  1. Pendant tout le temps que M. Blanchard et moi avons passé dans le cratère, c’est-à-dire pendant plus de trois heures, nous n’avons rien ressenti qui ressemblât à un tremblement de terre. C’est même cette absence de secousse qui nous laissa toute notre sécurité et nous permit d’observer sans la moindre inquiétude cette jolie éruption, qui semblait faite pour l’étude.