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au lieu des gigantesques chasseurs virginiens, qui ne manquent jamais au milieu des plus chaudes mêlées l’adversaire qu’ils ont visé, on ne rencontrait dans le camp mexicain que des soldats chétifs, tels que la presse avait pu les grouper. La plupart de ces soldats, indiens, blancs ou métis, étaient petits, maigres, mal vêtus ; pourtant ils savaient au besoin, sans souliers et sans nourriture, supporter des marches énormes ; ils savaient traîner pendant plusieurs jours leurs membres mutilés sans se plaindre. Vantard et parleur, le soldat mexicain se bat intrépidement à l’arme blanche, mais détourne la tête en déchargeant son fusil, qu’il est toujours prêt à vendre. Entre les deux cavaleries ennemies, même contraste. Mettez à pied le ranchero, et d’un cavalier redoutable par les prodigieuses ressources qu’il sait tirer de son cheval, vous ne ferez qu’un inutile fantassin. Que le cavalier américain descende, au contraire, du cheval colossal sur lequel il est péniblement guindé, il devient, en touchant la terre, un excellent soldat. Un trait commun toutefois aux deux armées, c’était le nombre prodigieux des officiers. Il y avait autant de majors du côté des Américains qu’il y avait de colonels dans le camp mexicain. La plupart étaient dépourvus de l’instruction nécessaire et ne savaient tirer qu’un médiocre parti des élémens de résistance ou de force qu’ils avaient entre les mains.

La ville de Matamoros, la première position que devaient attaquer les Américains, était commandée par le général don Francisco de Mejia. L’attitude de l’ennemi, encore immobile derrière ses retranchemens de Corpus-Christi, excitait dans la population de Matamoros comme dans l’armée de Mejia une curiosité mêlée d’inquiétude. On avait reçu déjà, nous l’avons dit, quelques renseignemens sur la situation précaire des troupes américaines. Un point restait à éclaircir : on voulait connaître le chiffre exact de l’armée ennemie. Homme d’action, d’une capacité reconnue ; et tout disposé à ne pas marchander la vie de ses soldats, non plus que la sienne, pour repousser l’invasion, le général Méjia mit ses batteurs d’estrade en campagne. On connaît la sagacité d’exploration particulière à la race américaine. Parmi ces batteurs d’estrade, un lieutenant des auxiliaires de la baie d’Espiritu-Santo acquit bientôt une sorte de célébrité. C’était un de ces hommes dont la bravoure égale l’astuce. Le lieutenant don Ramon Falcon ne tarda pas à se faire craindre dans le camp américain, où on lui attribua une ubiquité merveilleuse et des exploits dignes des héros d’Homère. Il est certain que le lieutenant Falcon faisait de son mieux, et le général Mejia fut bientôt parfaitement éclairé, non-seulement sur les dispositions, mais sur les forces réelles de l’ennemi.

Ce fut sous l’impression favorable des renseignemens dus à ses batteurs d’estrade que le général Mejia écrivit au gouvernement de son pays des rapports empreints d’une singulière confiance dans la supériorité