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des villes improvisées s’élèvent comme par enchantement du sein des déserts. Le soir surtout, ces cités nomades présentent un singulier spectacle. Derrière les chariots, dont les roues et les timons entrelacés avec des chaînes de fer forment une enceinte impénétrable, règne une activité bruyante qui rappelle le mouvement de nos grandes villes. Les forges s’allument, les enclumes retentissent ; tailleurs, cuisiniers, forgerons, tous sont à l’œuvre, tandis que les chasseurs s’aventurent au loin et reviennent égayer le souper du récit de leur chasse, de leurs aventures, et rarement l’assombrir, même en annonçant l’attaque prochaine d’un parti d’Indiens en campagne.

À ce moment critique où les hostilités allaient s’ouvrir, le camp du général Taylor était loin de présenter une physionomie aussi animée. Les aventuriers réunis sous ses ordres ne faisaient plus leur service qu’avec une visible répugnance. Aux griefs que les soldats croyaient avoir contre leurs chefs vinrent s’ajouter bientôt les maladies causées par les brusques variations de la température. Brûlant le jour et glacial la nuit, le ciel dans cette partie du Mexique exerçait sur des troupes déjà démoralisées une influence de plus en plus meurtrière. Les tentes de toile n’étaient contre les intempéries de la saison qu’un bien faible abri. A peine les soldats trouvaient-ils dans ces plaines stériles assez de bois pour préparer leurs alimens, encore moins en pouvaient-ils ramasser en quantité suffisante pour réchauffer leurs membres engourdis. Le tiers des troupes se trouvait hors des cadres ; les officiers même n’échappaient pas à la rigueur du climat, et un fléau plus redoutable encore était venu fondre sur l’armée américaine. Une horde immonde de spéculateurs de bas étage l’avait suivie jusqu’à Corpus-Christi, prête à piller les traînards de l’arrière-garde on les soldats égarés loin du camp. Un grand nombre de débits de liqueurs fortes s’étaient établis de tous côtés. Tous les proscrits, les voleurs, les assassins des États-Unis paraissaient avoir élu domicile sous les baraques de toile ou de planches élevées comme un second camp près du premier. Chaque nuit était troublée par des orgies sauvages, par des rixes sanglantes, dans lesquelles ces vagabonds montraient leur habileté à manier le poignard et le pistolet. Souvent des soldats américains, invités par ces misérables à partager leurs excès, se laissaient attirer dans leurs repaires ; enivrés au moyen de breuvages soporifiques, ils étaient dépouillés, quelquefois même assassinés par leurs hôtes, et on retrouvait leurs cadavres au milieu des champs ou noyés dans les lagunes voisines. Tout semblait conjuré contre l’armée du général Taylor.

On savait au camp mexicain, par les rapports de quelques transfuges, la position difficile de cette armée : était-on mieux préparé à la lutte ? Au lieu des robustes et taciturnes enfans du Kentucky, armés du rifle à long canon, inséparable compagnon de leur vie aventureuse ;