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et victorieuse qui grandit de l’autre côté de l’Atlantique, elle voit de plus en plus une rivale redoutable qui la presse chaque jour davantage ; elle n’oublie pas qu’au maintien de la république mexicaine est liée une question d’un intérêt plus direct pour les principaux états de l’ancien continent : le maintien de leur propre influence dans cette partie du Nouveau-Monde, la seule capable de rendre à l’Europe en métaux précieux la valeur tout entière des importations qu’elle en reçoit[1]. La France jusqu’à ce jour n’a point paru partager ces inquiétudes, elle s’est médiocrement préoccupée des progrès de l’Amérique du Nord. Le récit des événemens qui se sont passés au Mexique depuis un an montrera si nous avons tort ou raison dans notre indifférence.

Les causes de la guerre actuelle entre le Mexique et les États-Unis sont généralement connues. Si nous revenons sur les faits qui ont précédé et préparé la rupture armée des deux pays, ce sera pour bien établir que le différend soulevé à l’occasion des limites du Texas n’autorisait en aucune façon les Américains à envahir, outre le territoire contesté, les plus riches provinces du Mexique. Au point de vue du droit, l’agression, dans la forme qu’elle a prise du moins, n’est donc pas justifiable. Il importe de constater aussi que la diplomatie européenne n’a pas déployé dans cette première période de la crise toute l’activité, toute la perspicacité convenables. Il y a vingt ans déjà, on le sait, que l’Amérique du Nord fomente les dissensions intestines qui ont fait déchoir le Mexique à ce point de faiblesse où nous le voyons aujourd’hui. Il suffit de rappeler la première déclaration d’indépendance du Texas appuyée par quatre-vingt-dix signataires, dont quatre-vingt-huit, selon le témoignage d’un historien américain lui-même, le docteur Channing, étaient citoyens des États-Unis. Les autres phases de l’indépendance texienne ne sont pas moins notoires et n’accusent pas moins l’imprévoyance de l’Europe. En reconnaissant la nouvelle république, l’Europe crut favoriser le noble élan d’un peuple affranchi vers la liberté ; elle crut aussi servir les intérêts de la race africaine, car on était persuadé que le Texas allait abolir le commerce des esclaves. En réalité, la diplomatie anglaise et française n’avait fait que prêter les mains à l’agrandissement de l’Amérique du Nord et ouvrir à l’esclavage un état -de plus.

Plus tard, lorsque l’annexion du Texas aux États-Unis devint un casus belli entre le Mexique et l’Union, on voulut éviter ce conflit : les ministres d’Angleterre et de France négocièrent ; mais déjà le moment où la diplomatie européenne pouvait intervenir utilement était passé.

  1. Si l’on considère que les mines du Mexique ont produit, depuis la mise en exploitation par les Espagnols, quatorze milliards huit cent treize millions, on comprend de quelle importance est pour l’Europe ce pays si exceptionnellement riche en matières précieuses.