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Pourquoi M. Wilm n’élargirait-il pas les cadres de son premier travail ? Il en est temps encore ; nous l’en prions au nom de sa gloire, qui est intéressée à ce qu’on ne publie pas après son livre un livre plus complet. Est-il possible en vérité d’exclure de l’histoire de la pensée germanique un penseur aussi original et y aussi profond que Herder, un critique du mérite de Schleiermacher, un pyrrhonien aussi ingénieux que Schulze, un mystique comme Baader, des écrivains aussi célèbres que Fries, Krause, Bonterweck ?

Je vais paraître bien exigeant à M. Wilm ; mais j’irai jusqu’à le prier de ne pas omettre dans l’histoire des idées de l’Allemagne une intelligence comme celle de Goethe. Pourquoi priverait-il son œuvre de l’intérêt et de l’éclat qu’y porterait avec lui l’immortel auteur du Faust ? Goethe n’est pas seulement un grand poète, et tout le monde sait qu’il avait le génie de l’histoire naturelle. Mais on sait moins qu’il possédait, sinon le génie, au moins le goût passionné de la grande métaphysique. Qu’on cherche à deviner quelle était la lecture favorite de celui qui a écrit Werther et Wilhem Meister ? C’était l’Éthique de Spinoza. Oui, l’Éthique, c’est-à-dire la philosophie devenue une algèbre de la pensée humaine. Sous les formules glacées de cette métaphysique abstraite, l’ame de Goethe sentait l’ame du pauvre Juif cherchant, hors du monde qui le réprouvait, un asile inviolable dans la pensée de l’identité universelle. C’est que les spéculations audacieuses de la philosophie allemande avaient exercé sur l’esprit de Goethe, une influence décisive, et qui se manifeste à chaque page de sa plus étonnante création.

Il me semble que la philosophie n’aurait rien à perdre si on ne la séparait pas trop de la littérature, des arts, des idées religieuses et sociales, et en général des grandes affaires de l’humanité. M. Wilm, il faut le dire, rend son histoire un peu trop scolastique. Il ne sort pas un seul instant des universités, et son exposition est celle d’un austère professeur. Sans doute, sa méthode est d’une régularité parfaite, mais elle est aussi un peu monotone. Après avoir raconté sèchement la vie de son philosophe, M. Wilm prend un à un ses écrits les plus importans et en donne un résumé exact et fidèle ; puis il résume ce résumé, et conclut par un certain nombre de remarques, généralement fort judicieuses. C’est à merveille ; mais point de ces aperçus qui marquent d’un trait ferme et profond l’idée fondamentale répandue dans une foule d’écrits divers et dans toute la carrière d’un philosophe ; point de cette précision supérieure qui saisit corps à corps, non la forme de l’idée, mais l’idée elle-même ; point aussi de ces grandes vues critiques qui éclairent, enchaînent, dominent toute une suite de spéculations. Mais n’allons pas nous plaindre trop durement de l’absence de ces idées supérieures. Ce serait accuser la modestie et la bonne foi de M. Wilm, qui s’est effacé pour mieux faire paraître ses héros, et a volontairement immolé sa gloire à celle des philosophes de l’Allemagne.

Une partie de son livre, singulièrement intéressante, et qui délasse un peu de la sévérité ordinaire du grave historien, c’est l’exposition de la philosophie de Jacobi. L’auteur de Woldemar est le moins allemand des écrivains de l’Allemagne. Il se distingue de ses compatriotes par deux traits qui le rapprochent des philosophes français : il se défie des spéculations trop abstraites et il n’abuse pas des mots d’école. Ce n’est pas lui qui se flatterait comme Hegel de connaître