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ne sommes pas réellement des esprits, car alors nous serions Dieu, mais des modes de l’esprit. Otez ces modes, que reste-il ? Dieu. » En lisant ces lignes, ne les croirait-on pas tirées de l’Ethique de Spinoza ? M. Damiron les a pourtant trouvées dans Geulincx ; et au surplus, il s’en rencontre de toutes semblables dans Fénelon. Cela prouve bien tout ce qu’il y eut de profondément injuste dans l’anathème lancé par le XVIIe siècle contre Spinoza. Chose curieuse ! au siècle suivant, un homme médiocre, Helvétius, compose un assez méchant ouvrage, le livre de l’Esprit, et ce livre a un succès immense. D’où vient ce succès ? De la même cause qui a rendu Spinoza exécrable à tous les cartésiens : c’est qu’il a dit le secret de tout le monde.

On ne peut donner trop d’éloges à cette partie du travail de M. Damiron. Mais ce qu’il faut louer dans tout l’ouvrage, c’est cette pureté exquise, je dirais volontiers cette chasteté de sentimens, cette sérénité, cette noblesse, qui viennent de l’ame, et qui, se communiquant au style, y répandent un parfum d’honnêteté qui pénètre et qui charme. En vérité, M. Damiron n’est pas de son temps. Il en est sans doute par l’étendue et la liberté de ses idées, mais je soutiens qu’il n’en est pas pour le caractère, et j’en trouve la preuve dans trois de ses meilleures qualités : c’est d’abord un scrupule d’exactitude et d’ordre vraiment inoui. L’auteur le porte si loin, qu’il finit par l’exagérer, et cela le conduit à démontrer beaucoup de choses qui n’ont aucun besoin de preuve, à en expliquer d’autres qui gagneraient à n’être pas expliquées, à nous initier à toutes les précautions, à toutes les intentions, à toutes les perplexités de son esprit, à nous dire non-seulement ce qu’il fait, mais ce qu’il pourrait faire, et même ce qu’il ne fera pas. Une autre qualité de M. Damiron, qui n’est pas non plus de notre temps, c’est ce que j’appellerai sa sensibilité morale. Elle est si vive et si abondante, qu’elle donne à sa manière, avec une gravité douce, une sorte d’onction qui rappelle un autre ministère que celui de l’enseignement philosophique. Aujourd’hui nos prédicateurs à la mode font de la politique et du lyrisme. Pour trouver un vrai prédicateur de morale, ce n’est pas à Notre-Dame qu’il faut l’aller chercher, c’est à la Sorbonne ; ce n’est pas M. Lacordaire qu’il faut entendre, c’est M. Damiron. La dernière qualité que je louerai en lui, c’est la candeur. Trouvez-moi un autre écrivain que M. Damiron pour examiner lui-même ses défauts et les confesser au public comme pourrait le faire le chrétien le plus humble au tribunal de la pénitence. Est-ce bien au siècle où nous vivons, dans cette époque de préfaces pompeuses et d’idolâtrie de soi-même, qu’un écrivain du mérite de M. Damiron écrit ces lignes : « Je n’ignore pas, en ce qui me regarde, ce qu’il peut y avoir d’incomplet, de mal orné et de laborieux dans l’œuvre que j’ose livrer aujourd’hui au public ; mais en même temps, je le déclare avec la même franchise, je pense que, grace aux soins que j’y ai longuement mis et à l’épreuve de l’enseignement publie à laquelle elle a d’abord été soumise, elle a, comme je l’ai dit, une solidité qui en assure l’utilité. » Ceci n’est plus seulement de la modestie, c’est de l’humilité chrétienne, et j’ajoute de l’humilité sincère. Il nous faut ici plaider pour M. Damiron contre lui-même, et c’est un honneur qui n’était réservé qu’à lui, que la critique craignit d’être trop sévère à son égard, si elle l’était autant que sa conscience.

Après le cartésianisme, le plus grand sujet que présentent les temps modernes,