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l’histoire de la pensée humaine, et qu’on a vu cette multitude prodigieuse de doctrines qui, dans leur variété, leurs contradictions et leurs excès, pouvaient paraître un amas confus de conjectures vaines et d’extravagantes rêveries, se dérouler avec grandeur dans un ordre admirable, former des familles naturelles d’idées, se classer sous un petit nombre d’espèces distinctes, se développer sous des lois simples, réfléchir le mouvement à la fois libre et harmonieux de l’intelligence humaine, s’agrandir, se perfectionner, se purifier avec elle : variété merveilleuse de pensées, qui se combattent sans cesse les unes les autres, sans pouvoir jamais se détruire, destinées qu’elles sont à se réconcilier un jour, et dont chacune vient, pour ainsi dire, présenter pour sa part à la philosophie du xixe siècle son tribut de vérités impérissables.

Ce sont ces grandes vues, alors entièrement nouvelles pour la France, et qui se décoraient par surcroît du prestige éblouissant d’un magnifique langage, qui ont allumé dans la génération nouvelle la noble flamme de l’enthousiasme philosophique et répandu le goût des vastes entreprises dans le domaine de l’histoire et dans celui de la science. On sait que l’éloquent professeur mêlait à ses idées générales sur le développement de l’esprit humain quelques opinions particulières qui ont soulevé de violentes oppositions. Laissons l’auteur expliquer lui-même les motifs qui l’ont décidé à maintenir le fond de toutes ses opinions. « Sur ces trois volumes, dit-il, le premier qui contient les leçons de l’été de 1828, se ressent, il faut l’avouer, de la précipitation avec laquelle M. Guizot et moi nous crûmes devoir faire usage de la parole qui nous était rendue. Faute du temps nécessaire à une juste préparation, je dus prendre un sujet très général ; je présentai une introduction à l’histoire de la philosophie, où les plus hautes questions étaient abordées avec bonne foi et courage, et les solutions qu’en donnait la philosophie nouvelle exposées à grands traits, mais non véritablement établies. Il faut bien aussi se mettre un peu à notre place et se rappeler ce temps si différent du nôtre. L’esprit public avait fait de nos chaires autant de tribunes. Depuis la scolastique, il n’y avait pas eu d’exemple d’aussi nombreux auditoires dans le quartier latin. Cette foule immense agissait inévitablement sur le professeur. Ajoutez qu’aussitôt prononcée, chaque leçon, à peine revue, paraissait bien vite et se répandait. Malgré tout cela, encore aujourd’hui, je maintiens comme vraies toutes les idées fondamentales de ces premières leçons. Mais, sans venir ici témoigner contre moi-même, je n’ai pas besoin d’une grande modestie pour reconnaître qu’il s’y trouve des propositions hardies, ou plutôt des excès de langage, échappés à l’ardeur de l’improvisation, et que j’aurais fait disparaître sans hésiter, si la calomnie, en les envenimant, ne me les avait rendus irrévocables. L’honneur ne m’a pas permis de me corriger, et j’ai dû tout conserver pour n’avoir pas l’air de rien dérober à une critique ennemie. Je n’ai donc changé que des détails sans importance ; les passages incriminés subsistent, avec quelques éclaircissemens, tirés de mes propres écrits, antérieurs ou postérieurs à mes leçons. »

S’il est incontestable que M. Cousin, par ses vues générales comme par les belles applications qu’il en a données, est le promoteur de l’école historique, il n’en faut pas moins rendre justice à certains écrivains, qui, sans posséder la même puissance d’initiative et d’entraînement, ont eu pourtant le mérite de paraître avant lui dans la carrière. Dès l’an 1802, M. de Gérando avait eu l’idée