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dans ses paroles, non-seulement l’amante irritée, mais la femme parait tout entière ; elle la raille parce qu’elle n’est pas élégamment vêtue

« Est-ce là celle qui t’a charmé le cœur, cette femme habillée rustiquement, qui ne sait pas l’art de marcher avec une robe à longs plis ? »

Puis, s’adressant peut-être à sa rivale elle-même, d’un ton hautain et méprisant :

« Ne sois pas si fière pour une bague ! »

« Enfant, tu me parais petite et sans grace ! »

Cela est admirable de vérité. Il est bien facile de voir que Sappho exprimait dans ses poésies, non des sentimens imaginaires, mais les sentimens mêmes qui agitaient et brûlaient son cœur ; elle était poète parce qu’elle aimait. Dans ces fragmens si courts, si épars, quelle vie ! quelle flamme ! S’il n’y avait eu là que des vers, eussent-ils survécu à ce morcellement ? Ce ne serait qu’une poussière morte ! Mais il y avait autre chose, il y avait une ame passionnée qui s’y était répandue, qui les avait imprégnés de feux et de larmes ! Aussi cette poussière de poésie est encore animée, cette cendre est pleine d’étincelles.

…Spirat adhuc amor,
Vivuntque commissi cabres
Æoliae fidibus puellae !

Quelques autres mots de dépit amoureux se trouvent encore çà et là :

« Gorgo m’ennuie horriblement !…

« Quand la colère envahit l’ame, il faut empêcher la langue de se répandre en injures.

« Je ne suis pas de celles qui gardent leur colère, j’ai l’ame bonne.

« Ces sentimens sont ceux des autres, mon cœur ne les connaît pas. »

Ce sont peut-être là des moeurs oratoires et poétiques ; mais par une bizarrerie de l’esprit, s’il reste peu de vers d’un poète, ou peu de lignes d’un prosateur, on est porté à les prendre à la lettre plus volontiers qu’on ne ferait les mêmes paroles dans un auteur complet. Le prix qu’on y attache et la vérité qu’on y suppose semblent être en raison de la rareté. Pourquoi d’ailleurs ne croirions-nous pas Sappho ? Tout montre en elle une ame généreuse. Elle était pleine de commisération, surtout, à vrai dire, pour les peines d’amour, non ignara marli.

« Toi qui es plus belle, Mnasidica, que la molle Gyrinno, tu ne trouverais pas de femme plus triste que toi sous le ciel.

« … Allons, Mnasidica, mets une couronne sur ta chevelure que j’aime ;

« Tresse des branches d’anis avec tes petites mains :

« Orné de fleurs, on est plus agréable aux dieux

« Pour leur offrir des sacrifices ; sans couronne on ne leur plaît pas. »

Cependant il ne faut pas croire que la passion amoureuse ait été