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n’était pour elles qu’un ornement de l’esprit et un assaisonnement aux plaisirs des sens ; d’ailleurs, c’était la philosophie épicurienne et la philosophie cynique qu’elles cultivaient le plus volontiers.

Pour leur donner une éducation si variée et si étendue, on les élevait en commun. Il y avait en quelque sorte des collèges ou des couvens de courtisanes. C’est là qu’on les formait par tous les arts à l’art unique de l’amour, c’est là que par tous les procédés et les raffinemens imaginables on les aiguisait pour la volupté. Les courtisanes les plus lettrées et les plus habiles instruisaient les plus jeunes. On entrevoit déjà combien de corruption fermentait au dedans de ces espèces d’écoles avant de se répandre au dehors, et quelles étaient les mœurs des Lesbiennes. Et pourtant, en Grèce, comme en Égypte, comme dans l’Inde[1], c’était souvent à l’ombre de la religion que ces congrégations se formaient. Un fragment de Pindare, extrêmement joli, célèbre la consécration d’une de ces sortes de couvens à Corinthe, dans le presbytère même, comme nous dirions aujourd’hui, d’un temple de Vénus. Il est vrai qu’il y avait dans cette ville, comme à Athènes et à Abydos, des temples à Aphrodite publique. Celui de Corinthe était desservi par plus de mille courtisanes que les habitans et les habitantes avaient ainsi vouées à la déesse. On les appelait les hiérodules, c’est-à-dire les prêtresses ou plutôt les sacristaines du temple. Tous les négocians de la Grèce et de l’Asie qui débarquaient là de l’un et de l’autre côté de l’isthme faisaient de grandes dépenses avec ces femmes. De là le proverbe : « Ne va pas qui veut à Corinthe. » Cela formait une partie notable de la richesse de cette puissante cité. Les courtisanes prenaient part non-seulement aux fêtes d’Aphrodite, mais aussi à d’autres cérémonies nationales. On le voit, leur éducation était plus qu’une branche d’industrie, c’était presque une institution.

Une institution très réelle, destinée à entretenir et à perfectionner la race, c’étaient les concours de beauté. Il y avait à Lesbos, à Ténédos et ailleurs, des concours de beauté pour les femmes, comme il y en avait pour les hommes chez les Éléens (on sait que les Grecs ne rougissaient point d’aimer le beau sans distinction de sexe). Peut-être même les concours de femmes existaient-ils dès le temps d’Homère. Au neuvième chant de l’Iliade, dans l’énumération des présens que le roi Agamemnon fait proposer à Achille pour apaiser sa colère, on lit :

« Il te donnera encore sept femmes habiles dans les beaux ouvrages, sept Lesbiennes, qu’il avait choisies pour lui lorsque toi-même t’emparas de Lesbos bien bâtie, et qui remportèrent alors sur toutes les autres femmes le prix de la beauté. »

Le mot alors ne permet pas de regarder cette phrase comme métaphorique. Il est curieux que les femmes proposées à Achille soient précisément de

  1. En Égypte, les almehs ; dans l’Inde, les bayadères.