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« L’ARSENAL. Ci-gît la valeur castillane, avec tous ses insignes.

« LES MINISTERES. Ci-gît la moitié de l’Espagne ; elle est morte de l’autre moitié.

« LA PRISON. Ici repose la liberté de la pensée. — Deux rédacteurs du Mundo étaient les figures lacrymatoires de cette grande urne. On voyait en relief une chaîne, un bâillon et une plume. Cette plume, dis-je à part moi, est-ce celle des écrivains ou celle des escribanos ? Tout est possible en prison.

« LA BOURSE. Ci-gît le crédit national. Semblable aux pyramides d’Égypte, m’écriai-je, est-il possible qu’on ait érigé un si vaste monument pour enterrer une si petite chose !

« LA VICTOIRE. Celle-ci gît pour nous dans toute l’Espagne. Là il n’y avait ni épitaphe, ni monument. Un petit écriteau, que le plus aveugle eût pu lire, y disait seulement : « La junte d’aliénation des couvens a acheté à perpétuité ce terrain pour sa sépulture. »


Hommes, choses, institutions, tout passe ainsi à la file dans ce nécrologe semi-railleur, semi-courroucé, tout, jusqu’au catholicisme, que Larra personnifie dans la cloche qui sonne et qu’il plaint d’avance d’être seule condamnée en Espagne « à mourir pendue. » Depuis la constitution, en effet, on ne mourait plus pendu en Espagne : on n’y mourait que garrotté ou fusillé. Le pessimisme de Larra trouvait plus d’une excuse dans les circonstances. La révolte de la Granja venait d’ébranler les faibles élémens de rénovation légués par 1834 avec le sol monarchique où ils reposaient, et l’émeute ne créait rien à la place, et la guerre, ajoutant une destruction de plus à ce chaos de destruction, promenait l’étendard carliste des Castilles en Catalogne, de l’Estramadure aux Pyrénées. Tout s’est reconstitué pourtant, et cela par la seule force des choses, sans cause bien définie, sans le concours apparent des hommes, des idées et des nécessités, comme s’il y avait enfin, au fond de ces masses agitées, un je ne sais quoi qui gravite, à leur insu, vers l’organisation et l’équilibre. N’est-ce pas là un indice certain de vitalité ? On disait la guerre interminable, et la guerre a fini juste au moment où la faction venait de se retremper en trois victoires. On disait le principe monarchique mort, et la royauté est sortie intacte, non-seulement de la révolte de la Granja, mais de l’épreuve bien autrement dangereuse que lui réservait Espartero. On voyait dans l’opposition de 1840 un noyau de républicanisme, et ces soi-disant républicains se sont trouvés conduits à devenir les instrumens actifs de la restauration de 1843. On croyait le crédit ruiné et uniquement retenu au penchant de la banqueroute par l’expédient momentané, précaire, de l’aliénation des biens du clergé, et cependant la vente de ces biens a pu être suspendue sans que le crédit ait de nouveau fléchi, et la banque de Saint-Ferdinand, qui plus est, a recommencé ses avances, un moment interrompues. À ces reconstitutions successives, il faut ajouter des progrès réels. L’action gouvernementale s’est considérablement centralisée ; les réformes réputées les plus dangereuses se sont accomplies