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qu’ils ont de voir les jeunes gens prendre leur place, on croirait presque qu’il est possible de faire pis qu’eux.

« Pour l’an 1836, la seule constitution possible, c’est la constitution de 1836.

« Je te dirais, ami, une chose, si tu me promettais de ne pas me trahir. Je vénère à l’extrême les hommes d’une autre époque ; ils savent beaucoup, surtout quand ils ne se mêlent pas de gouvernement ; ils savent beaucoup, et, en faveur de leur savoir, non-seulement je ne voudrais pas les exclure, mais, bien plus, je voudrais les garder soigneusement comme Rome gardait ses livres sibyllins pour les consulter avec le plus grand respect. J’en formerais une bibliothèque vivante, où, proprement rangés sur de jolies étagères, ils laisseraient lire au lecteur : Un tel, Economie politique[1] ; tel autre, Des réformes constitutionnelles[2] ; ce monsieur-ci, De la guerre de l’indépendance[3] ; ce monsieur-là, De la métaphore et de l’esprit du siècle[4], etc., etc., de sorte qu’il n’y eût qu’à les retourner et à les feuilleter rapidement dans les momens d’embarras, sauf, la consultation finie, à les remettre soigneusement à leur place jusqu’à nouvelle occasion comme des parchemins précieux qu’ils sont.

« Juge par là si je les respecte, et en quelle estime je les tiens. »


Le vœu de Larra s’est à demi réalisé. Les hommes nouveaux ont surgi par centaines, et cependant la révolution espagnole en est à chercher encore son messie. Est-ce que le talent, la décision, la pensée, feraient complètement défaut dans cette pléiade de jeunes noms ? Est-ce que la vieille sève espagnole se serait desséchée de décrépitude ? Loin de là. Ce que l’Espagne a gaspillé en ces dix ans d’organisations fortes suffirait, je ne crains pas de le dire, à défrayer un nouveau 89 ; mais la loi de 1837, on l’a vu, a principalement recruté ces hommes nouveaux dans le sein de l’intérêt rétrograde, qui les a exploités ou brisés, selon qu’ils étaient dociles ou résistans. Et puis, en politique, il n’y a d’homme véritablement grand, véritablement fort que celui qui personnifie toute une époque en ses passions les plus condensées, en ses griefs les plus nombreux. Le génie, le génie politique surtout, ne vit que des vitalités extérieures qu’il absorbe et qu’il s’assimile : Mirabeau, Danton, Napoléon lui-même, foudroyantes étincelles que le choc de l’occasion a fait jaillir du corps social, ne sont devenus tour à tour l’ame de leur siècle que parce que chacun d’eux, à son heure, résumait vingt millions de volontés. Or, ces élémens n’existent pas en Espagne. Il n’y a pas chez elle de milieu révolutionnaire bien constitué ; il n’y a pas, dans ce milieu, de passions extrêmes, de griefs prépondérans. La bourgeoisie, je le répète, s’en trouve exclue. L’aristocratie espagnole pourrait bien remplacer auprès du peuple l’appoint réformiste fourni par notre bourgeoisie de 89 ; mais, si rien ne l’éloigne du peuple, rien non

  1. M. Pita-Pizarro, ou M. Mendizabal.
  2. M. Alcala Galiano.
  3. M. de Toreno.
  4. M. Martinez de la Rosa.