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d’employés et de contrebandiers, qui devaient nécessairement repousser tout essai de centralisation gouvernementale et d’équilibre financier, c’est-à-dire la révolution elle-même dans son principe, dans son but, dans ses moyens. Voilà la cause de cette stérilité à laquelle semblent vouées, chez nos voisins, les conceptions les plus simples, les administrations les plus fortes. Voilà le secret de ces fantasques péripéties qui ont fait surnommer l’Espagne la terre de l’imprévu, et qui nous montrent, sans transition apparente, dans la majorité d’hier, l’opposition d’aujourd’hui et le pronunciamiento de demain. L’impromptu ayacucho de 1840 et la restauration de 1843, où le microscope de nos faiseurs de théories cherche encore à découvrir deux oscillations politiques, sont là tout entiers. Si les exaltés, ce parti-fantôme, ces soi-disant montagnards d’une révolution qui n’a pas eu même son 89, ont pu changer en 1840 de programme ; si, après avoir emprunté, six années durant, au dogme terroriste son double principe d’unité administrative et de suprématie civile, ils ont proclamé, dès le lendemain de Bergara, l’indépendance municipale et la dictature militaire, — deux contradictions qui elles-mêmes s’excluent, — c’est qu’au fond de cet étalage bruyant de principes, il n’y avait qu’une bureaucratie mécontente, changeant d’intérêts selon que le gouvernement modéré, dont elle redoutait les projets financiers, changeait de rôle : unitaire et dédaigneuse du sabre quand le gouvernement, en face d’une insurrection fuériste qu’il s’agissait tout à la fois de combattre et d’isoler, affectait de ménager l’armée et les privilèges locaux ; passant à l’extrême opposé, le jour où le gouvernement, maître du soulèvement basque, croyait pouvoir aborder sans danger sa tâche de centralisation administrative, et où l’armée, devenue à son tour un embarras, offrait un point d’appui à l’opposition. La prétendue réaction modérée de 1843 a été purement et simplement le contre-coup de la même tactique. Espartero, ne possédant pas plus que les modérés le secret de gouverner sans argent, a osé prononcer, lui aussi, ce mot fatal de réforme financière, et le flot qui l’avait porté sur les marches du trône l’a remporté dans l’exil. La preuve que les principes, les convictions de parti n’étaient guère en jeu dans l’un et l’autre de ces deux mouvemens, c’est que tous les deux sont l’œuvre des mêmes hommes : le pronunciamiento de 1840 était en effet vainqueur avant que l’émigration modérée fût rentrée dans la Péninsule. C’est que tous les deux ont débuté par l’insurrection des contrebandiers de la Catalogne, auxiliaires naturels de la vénalité administrative, et qui, à deux ans de distance, se sont soulevés tour à tour aux cris de : Meurent les Français ! ou Meurent les Anglais ! selon que la politique commerciale du gouvernement penchait vers l’alliance française avec Marie-Christine, ou vers l’alliance anglaise avec Espartero. C’est que les modérés enfin, ressaisissant le pouvoir qu’aucun