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Larra nous aidera à entrevoir. Parfois, politiquement parlant, l’Espagne a dû rappeler un peu, à son insu, l’indigène des mers du Sud dessinant la nudité de son torse sous un frac anglais ; mais, factice ou logiquement amenée, la transition s’accomplit, et c’est déjà beaucoup. La génération suivante, trouvant à sa venue un cadre à peu près complet d’habitudes et d’institutions nouvelles, pourra aborder d’emblée la seconde moitié de l’œuvre. Le présent lègue la forme, l’avenir s’y moulera. Nous faisons ces réserves afin qu’on ne voie pas une pensée hostile à la révolution même dans l’énumération des absurdités, des anachronismes que l’esprit d’imitation a produits, depuis un quart de siècle, au-delà des Pyrénées.


III.

Larra a saisi le côté comique de cette manie d’imitation en ses deux types principaux : l’afrancesado de l’époque napoléonienne et l’émigré de 1823. On a très mal apprécié, en France et en Espagne même, le schisme national de 1808. On se représente assez communément les afrancesados comme des adeptes d’une sorte de rationalisme politique, des progressistes convaincus, des logiciens courageux, qui, désespérant de régénérer le pays par lui-même, le jetaient froidement dans le creuset de l’invasion étrangère. C’est leur faire beaucoup trop d’honneur. Les afrancesados, n’en déplaise à notre amour-propre national, appartenaient à la fraction la plus irréfléchie et la plus effacée de la population. Si le germe d’une pensée politique eût existé en eux, l’occasion l’eût fait éclore ; la réforme administrative apportée par Napoléon eût recruté dans leur sein ses meilleurs instrumens, et il n’en a rien été. Au choc des idées françaises, pas un programme, pas un nom, pas un éclair de vitalité, n’ont jailli de ce groupe inerte, qui, sans ressort pour la résistance comme pour l’action, recevait servilement l’empreinte, de nos mœurs en ce qu’elles avaient de plus saillant, de plus visible, c’est-à-dire en leur côté caricatural. Devinez ce qui séduisit ces prétendus apôtres de la propagande française : — l’athéisme du directoire, ses cravates et son sentimentalisme niais. Le pobrecito Hablador nous montre, dans l’historiette suivante (el casarse pronto y mal, se marier tôt et mal), la rectitude guindée et semi-monastique de l’ancienne vie de famille aux prises avec le bagage philosophique de nos sous-lieutenans

« J’avais naguère un neveu : les frères servent à cela. Celui-ci était fils d’une de mes soeurs, laquelle avait reçu cette éducation qui se donnait en Espagne, il y a bien moins d’un siècle, c’est-à-dire qu’à la maison on récitait journellement le rosaire, on lisait la vie du saint, on entendait la messe, on travaillait les jours ouvrables, on sortait l’après-midi des jours de fête, on veillait jusqu’à dix heures,