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aux mosaïques de la coupole de Montréal, et qui semble reposer sur le massif abrupt et blanc de la montagne.


6 janvier.

Je me réveille aujourd’hui sur un lac d’Écosse. Le soleil perce à peine la brume, dans laquelle on entend crier des corbeaux sans les voir. On aperçoit à peine sur les bords voilés du fleuve les grandes herbes froissées par la corde que tirent nos matelots d’un pas endormi. Retour momentané au nord, assez piquant sous cette latitude, pourvu qu’il ne dure point. Grace au ciel, la brume s’est dissipée ; nous avons retrouvé l’Égypte avec le soleil.

A présent que je commence à m’accoutumer à cette nature extraordinaire, à ce fleuve unique entre tous les fleuves, mon attention se replie sur ce qui m’environne et se dirige sur la maison flottante qui me porte à travers ces merveilles. J’observe avec intérêt ce petit monde égyptien et nubien ; au milieu duquel je vais passer plusieurs mois. Les matelots sont fort gais. Arabes et Barabras vivent en bonne intelligence ; quand ils n’ont rien à faire, ce qui est très fréquent, ils dorment ou fument accroupis, ou bien causent à demi voix. En général, leurs manières sont douces ; ils font peu de bruit ; ils sont beaucoup moins grossiers dans leur allure que ne le seraient à leur place des paysans français ou anglais. Il y a dans le type arabe une finesse dont on retrouve encore quelque trace chez les plus misérables fellahs.

Les matelots chantent perpétuellement ; toutes les fois qu’ils ont à ramer, le chant est pour eux une nécessité. Ils entonnent alors une sorte de litanie qui marque la mesure et leur permet de combiner leurs efforts. Cet usage, fondé sur un besoin naturel, paraît bien ancien en Égypte. Dans une représentation qu’on a trouvée deux fois répétée dans ce pays, et qui montre un colosse traîné par un très grand nombre de bras, on voit un homme qui frappe des mains pour diriger le travail et paraît chanter. Ces chansons, que je me fais traduire par Soliman, sont souvent insignifiantes et quelquefois gracieuses. Elles sont en général très courtes et composées d’un seul couplet, que nos Arabes répètent sans se lasser pendant des heures entières.

Un petit garçon s’est approché de la barque en chantant. Il disait au capitaine : O reis ! mon petit reis, ma mère est accouchée d’un enfant, quel nom faut-il lui donner ? C’est l’usage qu’on demande ainsi au voyageur son nom pour le nouveau-né : coutume naïve qui associe l’étranger aux joies de la famille. Il laisse en passant un souvenir de lui à ceux qu’il ne reverra plus. On a bien besoin de quelques épisodes gracieux de cette nature pour ne pas se sentir écrasé par le spectacle de misère qu’on a devant les yeux dès qu’on met le pied sur le rivage. J’ai déjà dit la condition des fellahs, qui portent les charges de la propriété