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Dissertation montrant l’identité du Niger et du Nil. Les erreurs ont la vie bien dure ; quand le temps ne les détruit pas, il les embaume.

Les chrétiens et les mahométans ont supposé également que le Nil découlait du paradis terrestre. Les croisés n’avaient garde de douter que le Nil ne vînt en droite ligne de ce lieu de délices. Si les écrivains arabes disent que les feuilles de l’arbre du paradis terrestre tombent sur les eaux naissantes du Nil et flottent le long de son cours, s’ils recommandent par cette raison la chair excellente en effet du boulty parce que ce poisson suit les feuilles bénies et s’en nourrit, Joinville, de son côté, nous apprend que les habitans des régions qu’arrose le Nil supérieur jettent leurs filets dans le fleuve et en retirent par ce moyen le gingembre et la rhubarbe, «  et on dit, ajoute le naïf conteur, que ces choses viennent du paradis terrestre, et que le vent les abat des arbres qui sont en paradis. »

Du reste, trois siècles plus tard, Colomb, touchant à un monde nouveau sans y croire, et pensant côtoyer les rivages de l’Asie orientale, tandis qu’il découvrait à son insu les côtes de l’Amérique, Colomb ne doutait pas que l’eau douce du golfe de Paria ne vînt du paradis terrestre, et que dans ce golfe de l’Amérique méridionale ne fussent les sources du Nil, du Gange, du Tigre et de l’Euphrate.[1] Ainsi, près de l’embouchure de l’Orénoque, Colomb se croyait aux sources du Nil.


5 janvier.

Ici la chaîne arabique touche au fleuve. Depuis long-temps l’aspect de la côte n’a point changé. En Égypte, dans la nature ainsi que dans l’art, tout est régulier, tranquille, horizontal. Les diverses couches que la civilisation a déposées sur cette terre antique se sont cristallisées en roches uniformément stratifiées comme celles que j’ai devant les yeux, et aujourd’hui nous contemplons leurs lits superposés comme je contemple ces lits calcaires que le Nil a coupés.

Nous approchons de la Montagne des Oiseaux. La voilà qui montre de loin ses grands escarpemens et ses bastions de rochers. Déjà on découvre les oiseaux auxquels elle doit son nom, qui, en troupes innombrables, planent sur la cime et rasent les flancs de Gebel-Thyr. Nous arrivons le soir au pied de la montagne ; on entend l’immense murmure des couples accroupis et jaseurs. Un coup de fusil fait crier et tourbillonner la multitude ailée. Nos yeux sont éblouis en suivant ces myriades d’oiseaux à travers l’atmosphère lumineuse qui les baigne de clartés. La moitié occidentale du ciel est un grand cintre d’or, semblable

  1. Washington Irving, The History of the life and voyages of Christopher Columbus, t. IV, p. 423.