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prêté toute sorte de vertus. Selon Galien, elle aide aux accouchemens. Aujourd’hui encore, dit l’illustre géographe Bitter, elle est, dans la poésie, le symbole de la beauté, de la douceur, de la grace, et les jeunes filles du Fezzan, quand elles cèdent à leurs amans, s’en excusent par l’influence de l’eau du Nil. Enfin, à en croire les Turcs, si Mahomet avait goûté de cette eau excellente, il aurait demandé à Dieu de jouir de son immortalité dans ce monde pour en savourer à jamais l’exquise douceur.

Les résultats de la science sont d’accord avec les témoignages de l’antiquité. L’analyse chimique a montré que l’eau du Nil est très pure ; elle peut remplacer l’eau distillée pour les expériences. L’eau de la Seine contient quatre fois plus de matière étrangère.[1] Je ne sais, du reste, si cette pureté est un avantage bien réel. Des travaux récens, entre autres ceux de M. Boussingault, n’ont-ils pas démontré que les sels suspendus dans l’eau sont utiles au développement de l’organisation des animaux et de l’homme, particulièrement à la formation des os ? L’eau du Nil est fort trouble ; on l’épure en la filtrant, ou mieux encore, au moyen de l’alun.[2] Pour lui conserver sa fraîcheur, on emploie des vases poreux qu’on appelle ici bardaques, et semblables à ceux que les Espagnols connaissent sous le nom plus harmonieux d’alcarazas.

Le Nil, c’est toute l’Égypte ; aussi le fleuve a-t-il donné son nom primitif au pays, AEgyptos. L’Égypte s’est appelée aussi la terre du fleuve, potamia. Si le Nil était supprimé, rien ne romprait l’aride uniformité du désert ; en détournant le cours supérieur du fleuve, on anéantirait l’Égypte. L’idée en est venue à un empereur d’Abyssinie, qui vivait dans le mire siècle, et plus tard au célèbre conquérant portugais Albuquerque. En effet, le Nil, dans une grande partie de son cours, offre cette particularité remarquable, qu’il ne reçoit aucun affluent, et qu’à l’encontre de tous les fleuves, au lieu d’augmenter en avançant, il diminue, car il alimente les canaux de dérivation, et rien ne l’alimente.

Le Nil est, comme on sait, sujet à des débordemens périodiques. Cette merveille d’un fleuve sortant à une époque fixe de son lit pour fertiliser la terre avait beaucoup étonné les anciens, qui ne savaient pas que d’autres rivières telles que l’Indus, le Mississipi, le Barrampouter, l’Iarraoudi, présentent un phénomène semblable. Les anciens avaient conçu une foule d’idées bizarres pour expliquer les débordemens du Nil ; on peut les voir dans Hérodote et dans Diodore de Sicile. Claudien pensait encore que tout ce que la chaleur du soleil enlevait par l’évaporation aux autres fleuves, elle le rendait au Nil. La véritable cause des

  1. Décade égyptienne, I, 218, 269.
  2. M. Félix d’Arcet, avec lequel vient de mourir un nom respecté dans les sciences depuis plusieurs générations, avait introduit en Égypte, de 1828 à 1829, la clarification de l’eau du Nil par l’alun.