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n’était plus qu’une trace à peine distincte, et les mules, malgré la sûreté de leurs pieds, trébuchaient à chaque pas sur ce terrain à la fois si mouvant et si raide. Cependant nous montions toujours, et la température baissait sensiblement. Au pied de la Montagnuola, un des cônes secondaires les plus considérables de l’Etna, le guide nous montra les glaciers de Catane, consistant en de vastes amas de neige régulièrement disposés sous une mince couche de sable. Un peu plus haut, la neige se montra à découvert[1]. Il fallut endosser capes et manteaux. Bientôt ces vêtemens devinrent insuffisans contre le froid. Pour conserver un reste de chaleur, nous fûmes contraints de quitter nos montures et de gravir à pied les dernières rampes qui nous séparaient de la casa.

Au moment de notre arrivée, le soleil, prêt à se cacher derrière l’extrémité occidentale de l’île, projetait l’ombre de l’Etna sur la mer ionienne et effleurait de ses derniers rayons les campagnes de Catane et d’Aderno. Nous admirâmes un instant ce panorama magnifique, brusquement interrompu vers le nord par le cône du grand cratère, qui s’élevait au centre du Piano del Lago à plus de mille pieds au-dessus de nos têtes ; mais le froid ne nous permit pas même d’attendre qu’il fût nuit close. Le thermomètre était tombé au-dessous de zéro, et nous entrâmes à la casa en bénissant le nom de ces trois frères qui ont su créer aux voyageurs, sur ce plateau élevé de deux mille neuf cent vingt quatre mètres[2] au-dessus du niveau de la mer, un abri contre la bise qui nous glaçait jusqu’au cœur. Moins heureux que nous, les muletiers durent regagner le bas de la Montagnuola, et remplacer par quelque grotte l’écurie encore encombrée de glace et de neige. Le guide seul resta pour nous servir. En un clin d’œil, une plaque mince de lave, transformée en brasero, se couvrit d’un feu de charbon que nous entourâmes avec jouissance. Les lampes furent allumées, les provisions étalées sur une table grossière, mais propre. Pendant que nous mangions, le guide balayait le lit de camp et couvrait d’une paillasse assez mince ces planches quelque peu raboteuses. Après avoir renouvelé le

  1. M. Hoffmann, géologue allemand qui visita l’Etna en 1830, a fait sur la région déserte des observations intéressantes que nous indiquons dans le tableau ci-joint :
    Limite de la région boisée sur le chemin de Nicolosi au cratère : 5 470 pieds.
    Limite extrême de la végétation : 8 628
    Limite de la végétation des astragales : 7 429
    Limite de la végétation des berberis : 7 110
    Limite de la végétation du pteris aquilina : 5 619
    Limite de la neige sous la Montagnuola (19 octobre) : 7 909
    (Archiv. fur Mineralogie, Geognosie…, etc., 1839.)
    Il est à remarquer que plusieurs des plantes indiquées par M. Hoffmann s’élèvent sur l’Etna à une hauteur bien plus considérable que sur toute autre montagne située sous la même latitude.
  2. Environ 9 016 pieds.