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abus de ces images discréditées depuis long-temps, même sur la palette du drame moderne. Les étoiles, le ciel, les rayons, Dieu surtout, reviennent sans cesse dans ces tirades, qui devraient bien se souvenir un peu plus du précepte du Décalogue : Dieu en vain tu ne jureras ! C’est là, il faut le dire, une des manies de M. Dumas, toutes les fois qu’il veut faire du style élevé et poétique ; lorsqu’il est soutenu par la difficulté d’une situation, par la nécessité d’emporter d’assaut une position dangereuse ou d’accélérer, par la vivacité du dialogue, la marche des événemens, il retrouve encore son ancienne verve ; mais, dans les momens de calme, lorsqu’il ne s’agit plus que de faire chanter à ses amans cette immortelle mélodie de la passion partagée, il dépasse le but au lieu de l’atteindre, et sa prose constellée n’offre plus qu’un luxe trompeur de métaphores : paillettes fanées d’un manteau de prodigue.

Cette pièce d’Amour et Intrigue est donc, dans toute l’acception du mot, une œuvre de pacotille, dépourvue de toutes les conditions qui rendraient recommandables les traductions de drames étrangers. Nous comprenons très bien qu’il puisse y avoir un intérêt réel, une profitable étude dans cette tâche, toujours un peu ingrate, de traducteur ; mais il faudrait alors traiter avec un respect égal la langue à laquelle on emprunte et le public auquel on s’adresse. Que Goethe, illustre déjà par un grand nombre de créations admirables, ait voulu, pour se rendre successivement compte de toutes les formes de l’ art, traduire quelques chefs-d’œuvre des autres littératures ; que, dans son fief poétique de Weimar, entouré de toutes les splendeurs d’une royauté littéraire, il ait voulu initier ses compatriotes à des beautés nouvelles et inconnues, c’était là un imposant spectacle, aussi fécond en enseignemens qu’en jouissances, car Goethe apportait à ce travail l’attention patiente de son génie universel. Qu’à une époque de luttes et de tentatives, des poètes novateurs, jaloux de mettre en présence les deux systèmes dramatiques, se soient mesurés avec Shakespeare, et que M. de Vigny, par exemple, ait essayé de faire adopter à un public français l’Othello original, c’était là une généreuse entreprise, et l’intelligente fidélité de la traduction, la consciencieuse ciselure des détails, rendaient le drame de M. de Vigny digne du chef-d’œuvre qu’il nous faisait connaître et de la réforme littéraire à laquelle il concourait ; mais chercher dans Schiller ou Shakespeare une nouvelle branche d’industrie, recourir à eux, dans les heures d’épuisement, pour que rien n’arrête le mouvement de production, appeler le génie de ces grands poètes au secours d’une opération commerciale à laquelle on ne peut plus suffire seul et par soi-même, dilapider le bien d’autrui comme le sien, c’est faire dans la voie du mercantilisme littéraire un pas qu’il convient de signaler. M. Dumas, défigurant aujourd’hui Shakespeare et Schiller, ressemble à ces gens incorrigibles qui, après s’être ruinés eux-mêmes, ruinent leurs créanciers.

Le nom de M. Dumas, ce nom à la fois si populaire et si compromis, a appelé l’attention sur le volume de poésies que vient de publier son fils, sous le titre prétentieusement humble de Péchés de Jeunesse :

Gresset se trompe ; il n’est pas si coupable,

a dit Voltaire de l’auteur du Méchant ; on pourrait en dire autant de ces Péchés, qui me semblent fort innocens. Je m’attendais, sur le titre du livre, et, l’avouerai-je ?