Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une coulée découverte ou contournait le pied de quelque antique cratère envahi aujourd’hui par la végétation et qui se dessinait nettement comme une pyramide de verdure. La fécondité du Bosco est remarquable, et partout la flore etnéenne, si riche en espèces végétales, semble disputer le terrain au volcan qui la menace sans cesse. De là résultent des contrastes frappans. La stérilité la plus absolue touche souvent à la plus riche végétation. Cette portion du trajet nous en offrait un exemple remarquable. Tous les versans placés à gauche de la route disparaissaient sous un épais tapis vert, dominé çà et là par des arbres souvent tenus comme en équilibre sur leurs racines dénudées. Quelques pâtres, suivis de nombreux troupeaux, animaient cette partie du paysage et.nous regardaient passer avec une curiosité nonchalante. Les bas-fonds placés à droite présentaient un aspect aussi riant, mais au-dessus d’eux se montraient, comme autant de torrens et de cascades pétrifiées, les laves énormes sorties des Bocarelle del Fuoco, cratères jumeaux qui, en 1766, détruisirent, au dire de Gemellaro, plus d’un million de chênes dans cette partie de la forêt.

Après deux heures de marche, nous atteignîmes la lisière des bois et la Casa del Bosco, petite hutte bâtie en face de la grotte des chèvres. Il était midi passé, et pourtant la chaleur était plus supportable. Nous étions arrivés à une hauteur de 1900 mètres au-dessus de notre point de départ[1]. Pour atteindre la casa Gemellaro, il ne restait plus qu’un millier de mètres à gravir ; mais c’était la plus rude part du voyage, et, pour reprendre des forces, on fit halte. Le panier aux provisions fut ouvert. Voyageurs et muletiers s’assirent sur un gazon fin et serré comme celui de toutes les hautes montagnes, et, après un repas qu’as saisonnait la fatigue, s’endormirent au pied d’un chêne couvert d’un reste de feuillage.

Après une courte sieste, nous reprîmes notre ascension et entrâmes dans la région déserte. Ici la végétation décroît tout à coup au point de sembler disparaître. Les quatre cent soixante-dix-sept espèces végétales qui se disputent le terrain du Bosco se réduisent à quatre-vingts environ ; encore faut-il compter dans ce nombre plus de trente espèces de lichens[2]. Pas un arbre, pas un arbuste ne s’élève dans ces solitudes. La faune de l’Etna n’y compte d’autres représentans que des plantes basses dispersées par touffes dans les crevasses du rocher ou sur quelques pentes formées d’antiques lapilli. Aussi rien de plus désolé que cette partie de la montagne. Notre œil se fatiguait à errer sur ces talus uniformément couverts de vieilles laves ou de cendres grisâtres dont l’ensemble produit l’effet d’un immense éboulement. Le sentier

  1. Environ 5 800 pieds.
  2. Chloris AEtnensis o le quattro forule dell’ AEtna, del sig. C.-S. Rafinesque Schmaltz.