Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à force ouverte, et surtout de s’échapper bravement et de rompre ses fers les armes à la main. Cette fuite, si malheureusement essayée une certaine nuit, était plus aisée et plus sûre s’il l’eût tentée en plein jour à la tête de quelques centaines de cavaliers. Attaqué dans son palais, qui l’empêchait de tirer l’épée et de risquer la victoire ou la mort ? Qui le retenait ? Une seule chose. Il avait accepté cette pensée de la reine, qu’il ne devait courir aucun danger sans elle ; probablement il craignait qu’elle n’en courût de plus grands sans lui. Mais ainsi il s’était réduit au rôle d’une femme. Quel est le soldat, quel est le magistrat, quel est le garde national qui remplirait son devoir, s’il réglait sa conduite sur cette idée ? Ainsi Louis XVI a enlevé toute grandeur politique aux derniers jours de son règne. Ce n’est pas faute de courage ; il en montra beaucoup au 20 juin, car je ne parle pas du 21 janvier ; ceux qui ont faibli dans cette suprême épreuve sont rares dans la révolution. Tel est l’effet du pouvoir absolu sur un homme médiocre ; il l’énerve et l’accable. Voilà donc ce que la royauté de Versailles devait faire, après quelques générations, d’un descendant de Henri IV.

Passons maintenant la frontière et suivons la dynastie dans l’exil. Une mort affreuse avait enlevé le père et le fils, et le comte de Lille se croyait roi. La guerre avait éclaté entre la république française et l’Europe, et le prétendant se flattait que la victoire renverserait la république et lui rendrait la couronne. Il entrevoyait bien des desseins contraires dans les conseils de la coalition : il rencontrait des inimitiés cachées ; il avait à subir des refus et des perfidies. Errant sur le continent, il ne se fiait pas à l’appui hautain et changeant de l’Angleterre. Il ne recevait de l’Autriche que des humiliations et quelquefois des menaces, origine de cette profonde aversion qui depuis a constamment régné entre la maison impériale et la maison de Bourbon. Enfin, à travers le faste des promesses de la Russie, il devait apercevoir ce fond de vanité trompeuse qui est comme le caractère traditionnel de cette autocratie théâtrale. Toute confiance sensée dans l’avenir lui était interdite. Aussi, quoiqu’il ne pût se résoudre à déposer celle que lui inspirait une foi mystique dans l’hérédité du droit divin, son bon sens lui arrachait-il parfois l’aveu du néant de sa politique. Il écrit un jour à M. de Saint-Priest, à propos de je ne sais quelle résolution : « Ce parti n’est pas bon, parce que celui qui n’a pas la force en main n’en peut pas prendre véritablement de bon ; mais je crois que c’est le moins mauvais que nous puissions prendre. » Cette parole est raisonnable, et cependant il continue à vivre d’illusions. Heureusement pour lui, son caractère ne lui permettait pas une grande activité, et ce n’est que dans ses calculs et ses écrits qu’éclate la faiblesse de sa situation et de sa cause. Je dirai même qu’il aggrave peu par ses défauts personnels le vice radical du rôle qu’il est condamné à jouer. Il n’est pas, comme son autre frère, entreprenant,