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mort cinq ans avant la prise de la Bastille. S’y attendait-il le moins du monde ? Qui sait ce qu’il en aurait pensé ? qui répondrait qu’il n’aurait pas écrit à l’assemblée constituante la lettre de l’abbé Raynal ? On tenait pour certain jadis dans les salons que le Mariage de Figaro était une des grandes causes de la révolution ; lisez les mémoires de Beaumarchais, et voyez quelle peur lui faisait en 1792 la commune de Paris. Il ne faut donc pas reprocher trop sévèrement aux ministres, aux magistrats, aux courtisans, aux princes, leur imprévoyance. Le reproche remonterait trop haut et perdrait de sa force en devenant trop général. Louis XIV aussi n’a rien prévu. Fénelon ne croyait pas que la monarchie telle que Louis XIV l’avait faite pût long-temps durer, mais Bossuet la regardait assurément comme le plus beau gouvernement du monde. On peut bien en conclure, si l’on veut, que l’esprit de Fénelon était, à certains égards, supérieur à l’esprit de Bossuet ; cependant celui de Bossuet pourrait suffire aux plus exigeans, et l’on se résignerait à s’être trompé avec lui.

Malgré ces raisons d’indulgence, on ne saurait amnistier l’aveuglement du gouvernement de l’ancien régime, et, quelque durement qu’il l’ait expié, c’est un spectacle piquant autant qu’instructif que celui de la royauté de nos pères aux prises avec les difficultés et les entraînemens de ses vingt-cinq dernières années d’existence. Si l’on écarte de sa pensée le dénoûment terrible, c’est un drame d’un haut comique, et l’historien qui le raconte est toujours au moment de paraître écrire une satire. Celui à qui échut, comme un double fardeau, l’héritage du despotisme glorieux de Louis XIV et du despotisme misérable de Louis XV, était destiné à présider à la plus étrange et quelquefois à la plus ridicule décomposition politique dont aucun gouvernement ait donné le spectacle. Tout était contradiction autour de lui, les devoirs et les passions, les intérêts et les idées, les prétentions et les croyances ; il n’y avait pas une institution en qui respirât l’esprit qui devait l’animer, et le prince lui-même offrait dans sa personne le plus déplorable de tous les contrastes. Croyant comme roi au pouvoir et y tenant peu comme homme, voulant le bien sans le comprendre, instruit sans esprit, bon sans être aimable, courageux sans fermeté, faible sans adresse, dissimulé sans habileté, défiant sans clairvoyance, il neutralisait par ses défauts toutes ses bonnes qualités, qui à leur tour lui interdisaient dans le mal toute énergie et tout savoir-faire. Autour de lui, auprès de lui, que de portraits à tracer, tous insignes par la plus éclatante inconséquence ! Reine et grandes dames, princes et courtisans, tous alors étaient, par le mélange des intérêts, des idées et des mœurs, à ce point de maturité dans l’absurde où il est impossible de demeurer. Ce monde-là a été décrit cent fois, mais on ne peut se lasser d’en retracer l’image. Je ne m’étonne pas que ceux qui