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arrêts du parlement de Paris une déclaration de droits anticipée. Sans doute le pouvoir ministériel auquel en voulait tant le cardinal de Retz aurait péri, si la fronde eût triomphé ; mais au profit de qui, si ce n’est du pouvoir royal, qui serait à son tour redevenu bientôt le pouvoir ministériel ? Fénelon était un frondeur d’un autre genre, et, secondé par de dignes amis, il aurait peut-être, s’il avait vécu, si son pieux et timide élève avait régné, entrepris la réforme qu’il rêvait, et tenté de réaliser les plus nobles pensées qui aient occupé un grand esprit, dans un temps où les grands esprits étaient plus communs que les nobles pensées. Mais qui oserait assurer que cette réforme philanthropique et aristocratique à la fois eût été praticable et qu’il y eût alors un système intermédiaire à introduire entre le despotisme à la fois violent et réglé de Louis XIV et un retour irréfléchi au régime antérieur, qui déjà commençait à n’être plus compris et qui n’avait pu se soutenir ? L’amour enthousiaste de Fénelon pour le bien, sa foi présomptueuse dans sa vertu et dans son génie, son imagination de poète, ses préjugés comme théologien, ses illusions comme moraliste, ses goûts de grand seigneur, son caractère plus propre à inspirer la vénération qu’à commander l’obéissance, ce besoin de dignité uni à ce besoin d’être aimable qui en faisait le plus édifiant des séducteurs, tous ces dons, toutes ces vertus, tous ces charmes, toutes ces faiblesses, en auraient-ils fait l’homme capable d’arrêter sur sa pente une monarchie dont tous les freins se brisaient dans la rapidité de sa course ? On peut en douter sans manquer de respect au législateur de Salente, au mentor chrétien du Télémaque de Versailles, et ce serait peut-être une recherche curieuse et piquante que de comparer ce que serait devenue la France, suivant qu’elle eût vu se réaliser l’un ou l’autre des deux avenirs qui, au déclin de Louis XIV, pouvaient sortir de la situation des affaires. L’un eût été le règne du duc de Bourgogne, où des sentimens élevés, des volontés obstinées, des idées chimériques, des convictions étroites et profondes se seraient unis pour entreprendre une réforme plus morale que politique. L’autre, qui se réalisa, fut le gouvernement énergique et décousu du duc d’Orléans, cet assemblage singulier de bien et de mal qui offre à l’historien des vues de grande politique unies à des conceptions d’aventurier, le goût des améliorations et celui des abus, l’amour du bien et le mépris des mœurs, quelque chose d’étrange enfin, une sorte de grandeur sans dignité. Voltaire a eu raison de dire qu’il y avait des traits de génie dans le régent, et ce malheureux Dubois est certainement du petit nombre des hommes d’état que la France ait produits. Cependant qu’ont-ils créé ? et, s’ils ont eu souvent raison de s’éloigner du gouvernement de Louis XIV, que de mal ils ont fait, que de mal ils ont laissé après eux ! Ils sont pour beaucoup dans le triste gouvernement qui leur a succédé. Ce n’est donc pas d’eux ni de leurs