Puis, rame en main, accoste[1] la navire en droiture,
Jette pierres[2] à fond, lie amarres au bord,
Et à tant[3] met le pied sur la berge du port.
L’hécatombe du dieu, Chryséis la louée[4]
Laissent la nef courrière de la mer azurée.
Par Ulysse à l’autel est la fille menée ;
Il la remet au père et dit sans demeurée[5] :
« J’amein[6] de part Atride à toi ta fille aimée,
« Chrysès, et à Phébus hécatombe sacrée,
« Si qu’uns droits sacrifices appaise le Seigneur
« Qui versa sur les Grecs et mal et grand douleur. »
Si dit et la remit dans les mains de son père ;
Et cil reçut à joie sa fille qu’il eut chère[7].
Tôt l’hécatombe est lez l’autel en belle pierre,
On se lave les mains, on prend l’orge ; à voix claire,
Fait Chrysès, bras levés, pour les Grégeois prière :
« Entend-moi, tu dont l’arcs est d’argent, protecteurs
« Et de Chryse et de Cille, à Ténédos seigneurs !
« M’as ci-devant ouï, quand, pour me croitre honneurs,
« Durement sur les Grecs s’est ta mains étendue.
« Que de toi soit encor ma prière entendue
« Détourne des Grégeois la flèche qui les tue ! »
Si pria ; sa prière Phébus ouït mout bien.
Puis cil[8], ayant prié et jeté l’orge, à plein
Tendent le cou des bêtes et si les ont férues,
Les écorchent, et puis sur les cuisses tollues[9]
Arrangent double couche de graisse et de chair crues.
Chrysès sur bois fendu les brûle, épand le vin.
Lez[10] lui broche à cinq pointes tiennent jeune mesquin[11].
Quand sont cuisses brûlées et entrailles goûtées,
On découpe le reste, et les chair embrochées
Sont lors à point rôties et à point retirées[12].
- ↑ Roman de Brut : « Les nefs fit à terre acoster. » Navire était féminin.
- ↑ Au lieu d’ancres on se servait de grosses pierres.
- ↑ Cela fait.
- ↑ Cette épithète est fréquente dans nos vieux poèmes. Chanson de Roland : « Voyez l’orgueil de France la louée. »
- ↑ Sans retard. Berthe, CXV : « Dites-moi se c’est vrais, sans longue demeurée. »
- ↑ J’amène.
- ↑ Berthe, XX : « Car je l’ai en convent Margiste, que j’ai chère. »
- ↑ Ceux-ci.
- ↑ Enlevées, détachées.
- ↑ Auprès de lui.
- ↑ Ce mot, que nous avons conservé, mais dans tout autre sens, signifiait : jeune homme. Roncisvals, p. 155 : « Et li viel homme et li jeune mesquin. »
- ↑ On comprend que tout le détail de ce sacrifice et de ce repas est mot à mot traduit ; il en est de ces détails comme, ci-dessus, des détails de marine.