« Car cis[1] est emportés d’un malfaisant courage,
« Et pourpenser[2] ne sait en baron droit et sage[3],
« Com Grec à sauveté[4] combattront en la plage. »
Tôt obéit Patrocles à son ami commant[5],
Fait sortir de la tente Briséis au corps gent[6],
Et la donne aux hérauts, qui, près le flot bruyant,
S’en revont o[7] la femme à regret les suivant.
Pleurants se sied Achilles à l’écart sa maînie,
L’œil sur la mer profonde, près la rive blanchie,
Et, les bras étendus, reclaimt[8] sa mère amie
« Mère, tu m’engendras à mout peu longue vie.
« Jupiters olympiens, du haut des cieux tonnants,
« Promit du moins honneur ; sa promesse est faillie.
« Car outrage m’a fait Atrides li puissants,
« Il tient ma récompense, de sa main l’a ravie. »
Si parla-t-il pleurants. Or l’entendit sa mère,
Au fond des flots assise près du vieillard son père ;
Tôt saillit hors de l’onde comme vapeurs légère,
S’assit au devant lui, qui versoit larme amère,
A main le caressa, et lui dit débonnaire :
« Beaux fils[9], qu’as à gémir ? Dont[10] viens tant deuil à faire ?
« Di, ne me cache rien, si qu’à nous deux apère[11]. »
Achils aux pieds légers mout gémissants répond
« Tu le sais ; tout redire ce que sais, à quoi bon ?
« Nous prîmes Thèbes sainte, la cit d’Éétion,
« Et tout en rapportâmes le butin à bandon[12].
« Entr’eux la gent en firent droite division[13] ;
- ↑ Celui-ci.
- ↑ Méditer, préparer dans sa pensée. Roncisvals, p. 192 : « Ne trahison ne fit, ne ne la pourpensa. »
- ↑ Ch. de Rol., LXXXV : « Rolanz est preux, et Oliviers est sage. »
- ↑ En sûreté, sans compromettre leur salut. Sauveté est le substantif de sauf.
- ↑ Au commandement de son ami. Romancero français, p. 11 : « En son père verger, à soi tance et estrive. »
- ↑ Berthe, IX : « A sa sœur prend congé, Berthe qui eut corps gent. »
- ↑ Avec.
- ↑ Réclame, implore. Beaucoup de verbes avaient une double conjugaison, l’une développée, l’autre contracte : je reclame et je reclaim, je cremi et je crain, je donne et je doin. Nous avons gardé : je gémis et je geins
- ↑ Beaux fils est une locution très fréquente dans nos vieux poèmes, et sans laquelle il serait difficile de rendre le rizvov de l’original.
- ↑ Pour quelle raison fais-tu tel deuil ? La Chanson des Saxons, préf., p. XXVII : « Pourquoi faites tel deuil ? N’y pouvez recouvrer. »
- ↑ De sorte que cela nous apparaisse, nous soit connu. Berthe, XLIV : « Ainz que guère de jour là en droites apère. »
- ↑ A volonté. Roncisvals, p. 85 : « Puis il chevauche à force et à bandon. »
- ↑ Roncisvals, p. 155 : « Qu’il nous en fasse voire division. »