« Mais entend ma menace : com[1] du Dieu m’est ravie
« Chryséis, que rendrai o ma nef et maînie,
« Tirai prendre en ta tente Briséis au clair vis[2],
« De ma main ton guerdon, si que te soit appris
« Combien sui, plus de[3] toi, et qu’on soit alentis[4]
« A moi de s’égaler et faire contredits. »
Si dit. Tant à ces mots Achilles fut dolens,
Que dans son sein velu[5] en balance eut le sens,
Se, le glaive acéré lez[6] sa cuisse prenans,
Ecarteroit les autres, tueroit[7] le fil d’Atrée,
Ou freindroit son courage[8], tiendroit s’ire[9] domptée.
Pendant qu’il balançoit ainsi dans sa pensée
Et tiroit le grand glaive, Pallas vint empressée
Des cieux, d’où l’envoyoit la déesse aux bras blancs,
Junons, des deux pensive[10] et tous deux les aimans.
Arrière prit la lui[11], chevelure dorée,
Debout, à lui visible, à tout autre cachée.
Es-vous[12] se tourne Achilles ébahis[13] ; et à tant[14]
La connut[15], cul regards flamboyoit fièrement ;
Et de sa bouche ainsi vint parole empennée[16] :
« Fille au[17] dieu de l’égide, pourquoi jus[18] es saillie[19] ?
« Viens-tu véoir[20] combien Atrides m’humilie ?
« Mais je te di parole qui tôt sera complie[21]
« Sa grands démesurance[22] va lui coûter la vie.
- ↑ Comme. Com est une abréviation très usitée dans les anciens textes.
- ↑ Voyez XVI.
- ↑ Que toi.
- ↑ Retardé, découragé. Berthe, LXXXIX : « Les fenêtres ouvrirent, ne sont pas alenti. ». Alentir est dans Molière : « Et notre passion alentissant son cours. » Voyez Génin, Lexique de Molière.
- ↑ On voit que j’ai respecté jusqu’aux plus petites particularités du texte homérique.
- ↑ Sur sa cuisse.
- ↑ Dans l’ancien français, tueroit était de trois syllabes ; mais cet e pouvait aussi être élidé. Raoul de Cambrai, p. 77 : « Et dist Ybers : Amis, frère ne tu. »
- ↑ Ferait violence à sa passion. Romancero français, p. 14 : « Demoiselle, fait-elle, freignez vostre courage. »
- ↑ Sa ire. Nous disons son ire.
- ↑ Voyez VII, not. 2.
- ↑ Elle prit la chevelure dorée de lui. Chanson de Roland, p. 3 « La leur terre. »
- ↑ Voilà que. Voyez VI, not. 16.
- ↑ Couci, V : « Mont ai été longuement ébahis, Qu’oncques n’osai chanson à faire emprendre. »
- ↑ Et ainsi, cela fait, aussitôt. Ce mot nous manque ; il est resté dans l’italien, a tanto. Dante, Inf., IX, 48 : Tesifone è nel mezzo ; e tacque a tanto.
- ↑ Il l’a reconnue, elle à qui le regard flamboyait. Connaître s’employait dans cette acception. Roman de Couci, v. 3011 : « Lorsque fi garçons l’aperçut, Sans doutance bien la connut. »
- ↑ Chroniq. des ducs de Normandie, v. 1122 : « Quarrel ne saette empennées Ἔπεα πτερόεντα (Epea pteroenta), dans Homère les paroles ont des ailes.
- ↑ Roncisvals, p. 99. « Vous fûtes fils au bon comte Renier. »
- ↑ En bas. Les Italiens ont le mot correspondant giuso.
- ↑ Saillir, sauter. Roncisvals, p. 52 : « De plaine terre est saillis en l’arçon. »
- ↑ Voir.
- ↑ Accomplie.
- ↑ Insolence. Roncisvals, p. 197 : « Or est morts Pinabel. par sa desmesurance. » Ce mot nous manque ; il n’a point d’équivalent exact.