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« Mais entend ma menace : com[1] du Dieu m’est ravie
« Chryséis, que rendrai o ma nef et maînie,
« Tirai prendre en ta tente Briséis au clair vis[2],
« De ma main ton guerdon, si que te soit appris
« Combien sui, plus de[3] toi, et qu’on soit alentis[4]
« A moi de s’égaler et faire contredits. »

XX.


Si dit. Tant à ces mots Achilles fut dolens,
Que dans son sein velu[5] en balance eut le sens,
Se, le glaive acéré lez[6] sa cuisse prenans,
Ecarteroit les autres, tueroit[7] le fil d’Atrée,
Ou freindroit son courage[8], tiendroit s’ire[9] domptée.
Pendant qu’il balançoit ainsi dans sa pensée
Et tiroit le grand glaive, Pallas vint empressée
Des cieux, d’où l’envoyoit la déesse aux bras blancs,
Junons, des deux pensive[10] et tous deux les aimans.
Arrière prit la lui[11], chevelure dorée,
Debout, à lui visible, à tout autre cachée.
Es-vous[12] se tourne Achilles ébahis[13] ; et à tant[14]
La connut[15], cul regards flamboyoit fièrement ;
Et de sa bouche ainsi vint parole empennée[16] :


XX.


« Fille au[17] dieu de l’égide, pourquoi jus[18] es saillie[19] ?
« Viens-tu véoir[20] combien Atrides m’humilie ?
« Mais je te di parole qui tôt sera complie[21]
« Sa grands démesurance[22] va lui coûter la vie.

  1. Comme. Com est une abréviation très usitée dans les anciens textes.
  2. Voyez XVI.
  3. Que toi.
  4. Retardé, découragé. Berthe, LXXXIX : « Les fenêtres ouvrirent, ne sont pas alenti. ». Alentir est dans Molière : « Et notre passion alentissant son cours. » Voyez Génin, Lexique de Molière.
  5. On voit que j’ai respecté jusqu’aux plus petites particularités du texte homérique.
  6. Sur sa cuisse.
  7. Dans l’ancien français, tueroit était de trois syllabes ; mais cet e pouvait aussi être élidé. Raoul de Cambrai, p. 77 : « Et dist Ybers : Amis, frère ne tu. »
  8. Ferait violence à sa passion. Romancero français, p. 14 : « Demoiselle, fait-elle, freignez vostre courage. »
  9. Sa ire. Nous disons son ire.
  10. Voyez VII, not. 2.
  11. Elle prit la chevelure dorée de lui. Chanson de Roland, p. 3 « La leur terre. »
  12. Voilà que. Voyez VI, not. 16.
  13. Couci, V : « Mont ai été longuement ébahis, Qu’oncques n’osai chanson à faire emprendre. »
  14. Et ainsi, cela fait, aussitôt. Ce mot nous manque ; il est resté dans l’italien, a tanto. Dante, Inf., IX, 48 : Tesifone è nel mezzo ; e tacque a tanto.
  15. Il l’a reconnue, elle à qui le regard flamboyait. Connaître s’employait dans cette acception. Roman de Couci, v. 3011 : « Lorsque fi garçons l’aperçut, Sans doutance bien la connut. »
  16. Chroniq. des ducs de Normandie, v. 1122 : « Quarrel ne saette empennées Ἔπεα πτερόεντα (Epea pteroenta), dans Homère les paroles ont des ailes.
  17. Roncisvals, p. 99. « Vous fûtes fils au bon comte Renier. »
  18. En bas. Les Italiens ont le mot correspondant giuso.
  19. Saillir, sauter. Roncisvals, p. 52 : « De plaine terre est saillis en l’arçon. »
  20. Voir.
  21. Accomplie.
  22. Insolence. Roncisvals, p. 197 : « Or est morts Pinabel. par sa desmesurance. » Ce mot nous manque ; il n’a point d’équivalent exact.