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qu’indique Voltaire lui-même : admettre les hiatus qui plaisent et repousser ceux qui déplaisent à l’oreille, par conséquent laisser tout au goût et au jugement de l’écrivain.

Ainsi, à côté de sa rudesse et de sa simplicité, on reconnaît dans notre vieille poésie de l’originalité et de la justesse, et, sans se tromper, on peut attribuer cette justesse à son originalité même. Sans institutrice, et dédaignée de tous ceux qui usaient du latin, elle se créa un art particulier, elle se fit un vers indépendant des règles antiques, elle puisa aux sources qui jaillissaient de la société renouvelée, et, s’élevant sur ce monde qui semblait un chaos, sur cet empire romain ruiné, sur ces populations barbares qui se l’étaient partagé, elle se fit écouter de tout le moyen-âge européen, qu’elle berça au bruit des chants de guerre, de chevalerie et d’amour. La France du midi, la France du nord, l’Espagne, l’Italie, virent fleurir de toutes parts l’art du gai savoir, et, quel que soit le jugement porté sur ces compositions, on peut leur appliquer sans trop d’effort ces deux beaux vers que notre chansonnier a dans sa pensée appliqués à l’origine de l’histoire et de la poésie :

Soudain la terre entend des voix nouvelles,
Maint peuple errant s’arrête émerveillé.

On est très indulgent pour Homère, on est très rigoureux pour nos vieux poètes, et cependant il est bien des points où lui et eux ont besoin des mêmes excuses devant l’esprit moderne. Il suffit en effet de se placer au point de vue qui est devenu le nôtre et de ne pas vouloir se prêter aux conditions mentales qui étaient celles des hommes passés, pour être vivement blessé du merveilleux grossier, inconséquent, inintelligible, qui est le fondement des poèmes antiques. C’est en effet en partant de là que, dans la célèbre querelle des anciens et des modernes, et plus tard encore, on a fait d’Homère le but d’une foule de critiques parfaitement justes et fondées pour un moderne, injustes et illusoires pour un ancien. Mais, si cette excuse est admise pour Homère, elle doit l’être aussi pour nos chansons de geste.

Toute espèce de merveilleux est absurde, je ne dis pas seulement en ce que le merveilleux choque directement notre expérience désormais certaine de la régularité naturelle des choses, mais parce qu’il implique nécessairement des contradictions inintelligibles. Prenez seulement le premier chant de l’Iliade : Achille, dans sa colère, va frapper du glaive Agamemnon ; Minerve, envoyée par Junon, descend, arrête le bras du héros et l’apaise en lui promettant que celui qui l’offense lui paiera l’affront au triple et au quadruple. Il semble donc que les deux déesses ont connaissance de l’avenir et savent d’avance à quel prix Achille reviendra prêter son secours aux Grecs. Tout aussitôt, comme si elles